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dépossession qui a commencé par des monastères pour s’achever aujourd’hui à Rome.

Qu’on y songe bien en effet, la question est la même à Rome et au Mont-Cassin. C’est toujours la question de l’existence temporelle de l’église avec sa mainmorte, ses juridictions, ses immunités, ses privilèges. Rome n’est, à vrai dire, que la tête de ce grand corps qui s’appelle le patrimoine ecclésiastique, le majorat par excellence du catholicisme. Le pape, avec sa souveraineté politique, ne serait rien, s’il n’était le premier des propriétaires de l’église, le premier des grands bénéficiers, et cela est si vrai qu’à un certain point de vue on a de la peine à comprendre la papauté temporelle sans la propriété, qui est la base de tout, qui se confond avec la souveraineté même. C’est ce qui explique dans une certaine mesure comment le gouvernement pontifical ressemble si bien au vieux gouvernement d’un vieux patrimoine. Tout se tient donc, tout procéda de la même idée dans cette vaste organisation. Le pape possède au même titre que le plus humble bénéficier, et par une intime, une naturelle analogie, ce serment dont on a tant parlé, que chaque pontife prête à son avènement de ne point aliéner les biens de l’église dont il est le détenteur temporaire, ce serment, dis-je, l’abbé du Mont-Cassin le prêtait à chaque élection tout comme le pape. Il s’ensuit que tout ce qui a ébranlé la propriété ecclésiastique dans ces derniers siècles a été une menace pour la papauté temporelle, et que cette question romaine, qu’on croit nouvelle, l’est moins qu’on ne le dit. Elle mûrit depuis longtemps, elle se résout d’elle-même tous les jours par la marche invincible des choses, par l’effort croissant de la société civile pour rentrer en possession de son propre domaine, par les amoindrissemens successifs des principautés ecclésiastiques, des juridictions du clergé, de tous ses privilèges terrestres, qui ont fait peu à peu le vide, laissant le siège de la papauté à découvert comme une sorte d’ouvrage isolé et sans défense au milieu d’une place aux trois quarts démantelée. Et c’est ainsi que dans le déclin de la fortune matérielle du monastère bénédictin on voit déjà ce qui doit atteindre jusque dans Rome le dernier fragment de l’établissement temporel de l’église.

Un autre trait caractéristique se dégage dans cette histoire de la grandeur et de la décadence du premier des monastères italiens. Il y a eu en Europe un moment vers le XVIe siècle où l’esprit d’absolutisme est entré en victorieux dans les institutions et a transformé les vieilles royautés du moyen âge en monarchies purement absolues et autocratiques. L’église elle-même n’a pas été la dernière à se laisser imprégner profondément de cet esprit ; elle a suivi ce mouvement des pouvoirs humains tendant à se concentrer, à tout subordonner au principe d’une autorité sans limite et sans contrôle.