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en la poussant jusqu’à la mendicité organisée. De même, lorsque six siècles avant François d’Assise Benoît fondait sa maison sur la montagne de Cassino, lorsqu’il promulguait cette règle qui a été la mère de toutes les règles monastiques, il n’avait pas l’idée d’une vaste et ambitieuse organisation. Il n’étendait pas son regard au-delà de la petite communauté groupée autour de lui. Les biens qu’il recevait n’avaient à ses yeux d’autre objet que de lui fournir le moyen d’élever un abri pour ses disciples, de suffire à leur existence, de leur assurer un coin de terre où ils pussent prier, travailler en commun, pratiquer l’hospitalité pour les pauvres comme pour les riches.

C’était un personnage parfaitement naïf, quoique moins populaire d’instinct que ne le fut plus tard François d’Assise. Et de cette maison que des moines construisaient de leurs propres mains, au prix de mille peines, avec une simplicité toute primitive, de cette maison cependant est sorti cet ordre qui a étendu ses ramifications sur le monde, qui dans sa période militante a marché à la tête des communautés religieuses, qui a joué un rôle politique dans les luttes de la papauté et de l’empire, de la maison de Souabe et de la maison d’Anjou, avant de finir par s’affaisser sous le poids même de ses prospérités. Pour se rendre compte de ce qu’a été la puissance de cette communauté qui a eu son berceau au mont Cassin, il faut se rappeler qu’à l’époque du concile de Constance elle avait déjà donné à l’église vingt-quatre papes, deux cents cardinaux, seize cents archevêques, huit mille évêques ; je ne parle pas des saints canonisés par milliers. Pour avoir une idée de ce qu’a été la prospérité temporelle de l’ordre bénédictin, il faut se dire qu’au temps de sa splendeur le Mont-Cassin comptait au nombre de ses domaines deux principautés, vingt comtés, quatre cent quarante villes, bourgs ou villages, deux cent cinquante châteaux, trois cent trente-six manoirs, vingt-trois ports de mer, seize cent soixante-deux églises. La papauté n’en a pas toujours eu autant.

C’était une sorte de souveraineté formée de concessions faites par Charlemagne, par les empereurs de la maison de Saxe et de la maison de Souabe, par toutes les dynasties qui se sont succédé dans ces contrées napolitaines. Il y a bien des siècles déjà, le descendant d’une famille grecque d’Amalfi avait fait don au monastère pour son église de magnifiques portes de bronze, exécutées par des artistes de Constantinople et sur lesquelles étaient gravés en lettres d’argent tous les noms des châteaux, villes et fiefs qui appartenaient à l’abbaye. Les portes existent encore et sont la seule chose qui reste de la basilique primitive ; les domaines ont disparu. Ce n’est pas par la main des révolutionnaires seuls qu’ils ont été dispersés, et ici apparaît ce travail lent, confus, irrésistible de