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être de bonne humeur quand on le raille sans cesse. La moquerie du fort contre le faible et du riche contre le pauvre se paie partout en haine, et là même où n’existent pas de luttes nationales, la sympathie sincère et la délicatesse attentive ont peine à calmer les rancunes causées par l’inégalité des conditions. Les Irlandais ne dussent-ils accuser qu’eux-mêmes, avoir à supporter les misères du moyen âge en présence des raffinemens matériels et des duretés morales de la civilisation moderne, se sentir méprisé parce que l’on souffre, doit donner un effroyable cauchemar. Aussi, ce qui fait le trouble des esprits, ce n’est ni la conduite des propriétaires, quoiqu’elle n’ait pas toujours été bonne, ni la conduite du clergé catholique, bien que sa situation le condamne à exciter les passions, ni les grandes terres, ni les petites fermes, ni la guerre des religions, ni les luttes de race, ni aucune question spéciale ; aucune loi particulière, bonne ou mauvaise, ne saurait produire d’effet sensible. Lorsqu’à travers les déclamations furibondes, les réminiscences enfantines et les rêves absurdes, on pénètre jusqu’aux sentimens qui agitent les cœurs, on rencontre un sentiment noble et douloureux fait pour inspirer respect et sympathie : le sentiment de l’orgueil national offensé. L’Irlande a été tant de fois vaincue, tant de fois spoliée et plantée, qu’elle se croit toujours regardée et traitée comme telle. L’Angleterre lui répète si souvent qu’elle a été vaincue sans qu’elle puisse s’en défendre, qu’il faudrait un degré de sagesse ou de bassesse bien extraordinaire pour ne pas écouter l’appel des souvenirs et ne pas s’irriter des provocations. Sept siècles d’histoire affligent l’Irlande. Chaque rébellion si aisément réprimée ajoute à ses chagrins. Elle préférera rester troublée et misérable, elle sera toujours pour l’Angleterre un pays étranger et souvent un pays ennemi tant qu’un grand acte de réparation n’aura pas été accompli, tant que l’Angleterre n’aura pas cicatrisé la blessure de l’orgueil national irlandais en lui sacrifiant le plus violent de ses préjugés.

On ne peut écrire sur l’Irlande sans finir par la grave question des biens ecclésiastiques. Après la folie des peuples, il faut montrer la folie des gouvernemens. L’Angleterre sait ou du moins saurait, si elle y pensait, que c’est là une question de justice sur laquelle le doute n’est pas possible. Les trois quarts des Irlandais sont catholiques ; le quart protestant est mi-parti presbytérien, mi-parti anglican. Les sept huitièmes de la population sont donc lésés en faveur d’un huitième, et, l’on en conviendra, si l’égalité doit exister quelque part, c’est en matière de religion. L’Angleterre croit que la situation du clergé catholique en Irlande porte préjudice aux intérêts sociaux et politiques. Elle dit que le clergé