Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 68.djvu/1009

Cette page a été validée par deux contributeurs.

autres. On avait promis à ceux-ci des généraux et des Américains ; on leur a donné de faux généraux et de faux Américains, des guerriers à plumets dont la plupart avaient gagné leurs grades dans les antichambres du « conseil-chef-central. » On avait promis à ceux-là une population ardente, disciplinée, liée par le serment et prête à se soulever au premier appel ; ils n’ont aperçu qu’un fantôme d’insurrection, s’évanouissant avec les vapeurs de la nuit. Depuis un mois, dans chaque église d’Irlande, on fait l’oraison funèbre de ces imposteurs, « qui se disaient fils de Patrick. » L’horizon va-t-il s’éclaircir après la disparition de ce nuage ? Je l’ignore. Probablement l’Irlande sera demain ce qu’elle était hier, un pays rebelle dans son cœur, bien qu’attaché chaque jour davantage à l’Angleterre par des liens qu’il est dans l’impuissance de briser. On en a une preuve assez frappante dans la séance tenue par le conseil municipal de Dublin pour voter une adresse au vice-roi à propos de l’insurrection feniane. Assurément le conseil municipal de Dublin, bien que librement élu par la capitale et composé de négocians respectables, n’a pas une grande importance politique, et les hyperboles de la rhétorique irlandaise ne sont souvent que de folles brises qui ne soulèvent pas les flots. Il n’en est pas moins remarquable qu’en face d’un mouvement qui blessait leurs sentimens et leurs intérêts, les membres du conseil municipal de Dublin aient tenu avant tout à manifester leur opposition nationale. « Pourquoi, a dit un orateur, va-t-on sacrifier à Moloch le sang de nos compatriotes ? Les coupables ne sont pas ces jeunes gens égarés par leur patriotisme. Ce sont ceux dont la froide politique les a fait se précipiter dans la montagne. L’Angleterre a brandi son épée à la face de l’Irlande dans les plaines de Clontarf[1]. Le Times a dit (et ce que dit le Times le gouvernement le dit) qu’il n’était pas permis de discuter la question du rappel. Qu’est-ce que cela signifie, sinon que le Times et l’Angleterre ont forcé l’Irlande à recourir aux armes ? Que le sang répandu retombe sur eux ! Du haut du trône, on a prêché l’insurrection et la rébellion. L’Angleterre a fêté Garibaldi et Mazzini, les apôtres de l’anarchie et de l’assassinat. Qu’elle ne s’étonne pas d’être brûlée par le feu qu’elle a allumé ! L’Angleterre est menacée par l’Irlande, et François-Joseph est sur un trône que soutient l’amour des Hongrois. Que ne sommes-nous traités par notre souverain comme les Hongrois l’ont été par François-Joseph ? » La majorité du conseil trouva ce discours inopportun, exprima la crainte qu’il ne fût mal interprété au dehors, mais en approuva les sentimens.

  1. Cela veut dire que le meeting projeté à Clontarf, il y a plus de vingt-cinq ans, a été déclaré illégal et n’a pas eu lieu.