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aux condamnations que l’église prononce contre ses enfans désobéissans. N’ayez pas de scrupules de conscience à l’égard du serment qui lie à de semblables sociétés. Au lieu d’être astreint à le tenir, on est astreint à ne pas le tenir. Comme dit le catéchisme dans sa brièveté et dans sa force, « il a péché en le prenant, il pécherait en le gardant… »

On s’est souvent demandé si des sujets avaient le droit de se révolter contre leur souverain et dans quelles circonstances ils pouvaient avoir ce droit. Une chose est au moins certaine, c’est qu’une révolte sans chances de succès ne peut se justifier. Sacrifier des vies sans espoir de succès comme compensation[1], non-seulement fait encourir une grande responsabilité devant les hommes, mais, constitue un grave péché aux yeux du ciel. J’affirme donc deux choses sans crainte d’être contredit. En premier lieu, le mouvement fenian n’a aucune chance de succès ; en second lieu, parce qu’il n’a aucune chance de succès, il est un mouvement coupable[2]

« Et quel moment ont-ils choisi ? Ce n’est pas celui où les forces de l’Angleterre sont occupées ailleurs, c’est celui où l’Angleterre a les mains libres et peut jeter toute sa puissance sur l’Irlande. Ce mouvement ne peut amener que des désastres. Mais supposons que les fenians tiennent tête à l’armée anglaise, à la marine anglaise, à tout le peuple d’Angleterre ; supposons qu’ils puissent reconquérir l’Irlande : pourraient-ils la garder ? Non ; l’Angleterre sacrifiera son dernier homme et son dernier shilling plutôt que de laisser l’Irlande se séparer d’elle. N’y eût-il pas d’autre raison, la proximité des deux îles oblige l’Angleterre à reconquérir l’Irlande à tout prix…

« Il est beau de mourir pour son pays ; mais tuer et se faire tuer pour changer le mal en pire[3], c’est un péché. Le crime s’aggrave en proportion des désastres, et il monterait à une énormité prodigieuse, si tout un pays était inondé de sang, ce qui arriverait nécessairement dans le cas d’une guerre civile en Irlande.

« Les choses étant ce qu’elles sont[4], moi, évêque, qui ai charge de dire la vérité, je déclare que le malheureux mouvement qui trouble à cette heure la paix du pays est un péché que l’église condamne sous les peines les plus sévères. Je m’adresse à tous ceux qui me reconnaissent pour leur pasteur : qu’ils abandonnent une entreprise insensée et criminelle ! La protection de Dieu ne les accompagne pas, la bénédiction de l’église ne les suit pas ; ils n’ont pas à compter sur les faveurs du ciel. Il était fou de s’engager dans cette affaire, il serait insensé d’y persévérer. Au nom de tout ce qui est sacré, la patrie, la femme et les enfans, au nom du Dieu vivant, j’en appelle à tous ceux qui se sont compromis pour qu’ils se désistent à l’instant…

« PATRICK LEAHY, archevêque de Cashel et d’Emly.

« Thurles, le 12 mars 1867. »

L’affaire feniane est-elle terminée ? Je le crois. Elle est du moins frappée à mort. Chefs et soldats doivent être dégoûtés les uns des

  1. As a compensation.
  2. Therefore it is a sinful movement.
  3. To make bad worse.
  4. This being so