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l’Amérique sur les imaginations en Irlande ! L’Amérique, c’est le pays de la liberté, c’est le pays de l’abondance, c’est le pays de la virilité. En face d’un Américain, un Anglais n’est rien. Les Irlandais se sont dit : Avec l’aide de l’Amérique., nous conquerrons notre indépendance, et nous rendrons au nom irlandais son lustre antique…. Oui, l’ambition de la gloire, le désir d’obtenir un renom dans le monde ont été pour beaucoup dans cette rébellion misérablement avortée, et ce qui l’a fait éclater, c’est l’idée de la supériorité des États-Unis sur l’Angleterre, idée que l’affaissement de la politique extérieure de la Grande-Bretagne a propagée parmi ses sujets mécontens.

L’action fut en retard ; les récriminations des intéressés nous diront bientôt pourquoi. En attendant, on comprend qu’il était moins dangereux de conspirer à New-York qu’à Dublin, et plus agréable de siéger à la table du conseil de la « fraternité, » d’y manier de l’argent, d’y exercer le pouvoir, que de parcourir l’Irlande traqué par la police, d’autant plus exposé qu’on agissait davantage et que le succès de la propagande appelait l’attention. Pendant ce temps, les chefs se divisèrent et s’accusèrent mutuellement de lâcheté et de rapine. Nombre d’agens subalternes furent pris, relâchés, pris encore. Plus on allait, moins on avançait. La foi des assermentés faiblissait. L’opposition du clergé de campagne, molle au commencement, devenait plus ferme et plus impérieuse à mesure que s’affichaient les doctrines fenianes. En voyant la division et la défiance miner le fenianisme, le gouvernement anglais pressentit que pour cette fois l’orage allait se dissiper, et quand eut lieu l’exécution, il arriva en effet ce qui est arrivé souvent, aux insurrections irlandaises : cette conspiration eut la destinée du monument que toute l’Irlande voulait élever, il y a deux ans, a la mémoire d’O’Connell. Il n’en reste d’autre trace qu’un poteau sur lequel on a écrit : Place du monument futur de Daniel O’Connell.

D’abord quelques coups firent long feu. L’affaire de Chester fut une de ces farces que les Irlandais aiment à jouer à leur gouvernement et à eux-mêmes, moitié sérieuse, moitié plaisante, une mystification prête à devenir une violence. A Killarney, le plus beau lieu de l’Irlande et de tout le nord de l’Europe, les choses furent un peu plus graves : les populations de la campagne marchèrent sur la ville ; mais, le chef qui devait les commander ayant été tué presque par hasard, chacun rentra chez soi et se moqua des troupes parcourant la montagne à la recherche de rebelles imaginaires. Le sérieux commence avec la nuit du mardi 5 mars 1867. Dans le mouvement qui se fait alors, on voit une sorte d’ensemble au milieu d’un grand désarroi. On dirait un coup de désespoir tenté par une minorité ardente, qui ne veut pas se retirer de la lutte avant