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dispersèrent dans les steppes, où ils reprirent la vie nomade. D’autres cherchèrent du secours auprès des Khiviens, qui, jaloux de l’extension du Kokand, avaient établi plusieurs forts sur la rive gauche du Kuvan-Daria, l’un des principaux affluens méridionaux de l’Iaxarte ; mais ils reconnurent bientôt qu’ils avaient trouvé là un oppresseur au lieu d’un allié. En proie à deux maîtres également avides, le pays eut alors plus à souffrir que jamais : aussi la Russie, quand elle apparut, fut-elle regardée comme une libératrice. Les deux khanats ne pouvaient cependant manquer de prendre l’alarme en voyant une puissance rivale et redoutable s’établir à l’embouchure du Syr-Daria. Sans en venir à une guerre déclarée, ils harcelèrent les troupes russes par de continuelles escarmouches, en même temps qu’ils accablaient les Kirghiz de nouvelles vexations pour les punir d’avoir prêté leur concours aux Européens. Ces incursions ne furent d’abord que faiblement repoussées, la garnison d’Aralsk n’étant pas assez nombreuse pour songer à prendre l’offensive. En effet, bien qu’elle se reliât au gouvernement d’Orenbourg par les forteresses récemment construites dans la steppe, la difficulté des communications : l’empêchait de recevoir des renforts suffisans pour réprimer l’audace des ennemis. Au sud de l’Irghiz et à l’est de la mer d’Aral, c’est-à-dire sur la route même que les détachemens devaient suivre pour se rendre aux rives du Syr-Daria, s’étend le Karakoum, aride désert dont le sol, tantôt couvert d’une couche saline, tantôt formé de sables noirs et friables que parsèment d’innombrables monticules, présente de grands obstacles aux caravanes. Cependant, comme toutes les marchandises transportées en Europe doivent prendre cette route, des puits ont été creusés de distance en distance dans la partie la plus praticable de la steppe, et de petits convois peuvent y trouver les ravitaillemens nécessaires.

Malgré leur inaction apparente, les Russes faisaient de vastes préparatifs ; des approvisionnemens considérables se concentraient à Orenbourg, et la mer d’Aral recevait trois bâtimens à voiles, bientôt suivis de deux steamers en fer qu’il fallut envoyer pièce a pièce de la Suède, où ils avaient été fabriqués, à Saint-Pétersbourg, puis à Samara et enfin au fort d’Aralsk. Ce n’était pas tout d’avoir transporté au prix de peines infinies ces navires à l’embouchure du Syr-Daria ; l’absence de combustible présentait pour la navigation à vapeur des difficultés qui auraient paru insurmontables à une volonté moins persévérante que celle de l’empereur Nicolas. On fit venir des rives du Don d’énormes quantités d’anthracite qui, rendu sur place, ne coûtait pas moins de 300 francs la tonne. Enfin, au mois de mai 1852, toutes les mesures étant prises et les arméniens complétés, le général Perowski résolut de mettre à exécution le