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nécessité de s’avancer vers la gauche, de changer ce qu’il appelait la dynamique du ministère. De là des conflits intimes qui se dénouaient une première fois par la retraite de Cavour. Ce n’était pas une solution, puisque le cabinet, avec Cavour de moins, se trouvait affaibli, diminué, également menacé par l’hostilité ou par le dangereux appui d’un homme qui déjà commençait à exercer une autorité souveraine sur le parlement. D’Azeglio le sentit, et cette fois, après une courte expérience, c’est lui qui se retirait, laissant la place à son heureux et impatient émule. Cavour montait au pouvoir pour huit ans, sauf une interruption de quelques mois après la paix de Villafranca, et ces huit ans ont fait l’Italie.

Au fond, cet antagonisme de deux hommes qui avaient le même but, les mêmes instincts libéraux, les mêmes aspirations patriotiques, cet antagonisme avait sa logique secrète, et tenait moins à une lutte vulgaire d’ambitions qu’à la différence des caractères, aussi bien qu’au progrès naturel des choses. A la lumière des événemens, rien ne semble plus simple aujourd’hui. D’Azeglio avait été l’homme d’une situation, il n’était pas l’homme de toutes les situations. Il y avait dans sa nature plus d’élévation et de finesse que de facultés pratiques ; le goût de l’influence morale était plus puissant chez lui que la passion du gouvernement, et s’il avait été le plus séduisant, le plus efficace des premiers ministres dans un moment où la droiture était tout, il n’avait pas la vanité de se donner pour un politique complet ou pour un administrateur habile. C’est lui-même qui le dit avec ingénuité dans sa correspondance. « Outre que je ne suis pas dévoré d’ambition, je n’en puis plus physiquement, et les affaires eussent fini par en souffrir. J’ai à me reprocher, je vous le dis franchement, de n’avoir pas mis assez d’activité dans les dernières affaires de Rome. On a fait quelques sottises qu’une action plus minutieuse de ma part aurait sans doute prévenues. »

D’Azeglio avait la dignité du pouvoir dans le libéralisme et le patriotisme, il n’en avait ni la dévorante activité ni les âpres ambitions. Et puis, sans avoir moins de foi aux destinées italiennes, il ressentait peut-être par momens une certaine lassitude, à laquelle les souffrances de sa blessure n’étaient point étrangères. Il avait fait tout ce qu’une inspiration honnête et une courageuse sérénité pouvaient faire ; ce n’était pas l’homme aux desseins compliqués, à l’esprit fertile en expédiens, aux initiations soudaines et hardies dans une situation nouvelle. Cavour était au contraire, à cette époque, le génie de l’action dans son épanouissement, s’appliquant à tout, également apte à tout, — aux finances, aux travaux publics, à la marine, à la direction de la politique extérieure. — Il