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piémontaise sur le Mincio et sur l’Adige, les tacticiens des clubs accusaient les chefs d’être vendus à Charles-Albert ; si elle s’enfonçait dans la Vénétie, on se plaignait au camp piémontais qu’elle ne servît à rien. Le fait est que, placée dans une situation fausse, avec ses marches et ses contre-marches, elle fit peu de chose, Elle n’eut qu’un moment brillant à Vicence, où elle se défendit trois fois avec succès dans une ville ouverte, et où, attaquée une dernière fois par quarante-cinq mille hommes, elle ne céda le terrain qu’après douze heures de combat, avec une capitulation qui lui laissait les honneurs de la guerre. C’est là, à la défense du Monte-Berico, que d’Azeglio était blessé d’un coup de feu qui lui fracassait le genou. Je serais tenté de croire que ce vaillant homme recevait cette blessure avec plaisir, tant il trouvait naturel de se dévouer, tant cela lui semblait peu pour une si belle cause, et il était à coup sûr plus heureux d’avoir trempé d’un peu de son sang la terre italienne que tous ceux qui criaient sans combattre. Et cependant il traînait sa blessure pendant près d’un an, faute de pouvoir jamais se résigner au repos.

Une pensée avait surtout obsédé Massimo d’Azeglio depuis le premier jour : faire la guerre d’abord, concentrer tout ce qu’on avait de forces dans la lutte de l’indépendance ; la politique ne viendrait qu’après. C’est tout le contraire qui arrivait. La guerre, il ne la voyait pas finie, et il ne se sentait pas encore découragé malgré les défaites qui commençaient. C’était la politique qui le préoccupait. Retiré à la villa Almanzi, auprès de Florence, souffrant cruellement de sa blessure, il souffrait encore plus en voyant de jour en jour les divisions éclater, les passions s’envenimer, l’anarchie submerger l’Italie sous le nom de parti démocratique, et, frémissant d’impatience, retrouvant toute sa verve, il revenait à la polémique, lançant dans un journal de Florence des articles rapides, pleins de raillerie et de feu, celui notamment où il disait ce mot qui courut l’Italie : « Les procédés des rois, se disant nos pères m’avaient fait désirer d’être orphelin, les faits et gestes des révolutionnaires se disant nos frères me font désirer d’être fils unique. »

Aussi hardi contre ; les faux patriotes et les démagogues qu’il l’avait été contre l’absolutisme, il tenait tête à l’orage révolutionnaire au risque de passer à son tour pour codino, selon le mot appliqué à tout ce qui était conservateur. Il écrivait coup sur coup les Timori e esperanze et la Lettre aux électeurs de Strambino ; où il disait avec une fierté virile : « Vous vous en prenez de nos désastres aux gouvernemens, aux ministres, aux-souverains… Vous ne voulez pas comprendre que chez un peuple comme le nôtre il ne s’agit pas de changer les formes, mais de nous changer, nous, — de nous régénérer