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par le mouvement effaré des employés, par les marches confuses des troupes regagnant la France, par tous ces signes d’un pouvoir qui tombe, Turin fut dans la joie ! Le Piémont, redevenait indépendant, et c’était assez. On oubliait ce que le régime français avait eu de bienfaisant ; on ne se souvenait, selon le mot d’Azeglio, que de « l’insolence militaire et de la hauteur administrative, » dont on sentait encore le poids, dont on avait hâte d’être délivré.

Au milieu de toutes les restaurations de 1814 et de 1815, cette petite restauration piémontaise, à vrai dire, avait un caractère particulier de cordialité et de bonhomie. On y mettait de la bonne volonté, et le jour de la rentrée du roi ressemblait à une fête de famille en province. C’était une exhumation de tout ce qui se cachait depuis quinze ans, sentimens et uniformes. « Je me trouvais sur la place Château, raconte d’Azeglio, et j’ai bien présent le groupe du roi avec son état-major, Vêtus à la mode ancienne avec la queue et certains chapeaux à la Frédéric II, ils faisaient tous ensemble des figures assez bouffonnes, mais qui nous semblaient très belles et selon l’étiquette… » Le pauvre roi n’avait ni voiture ni chevaux en rentrant à Turin. Le marquis d’Azeglio fut obligé de lui prêter un vieux carrosse de gala qui datait de son mariage, et c’est dans cet équipage que le bon roi Victor-Emmanuel parcourait la ville, montrant à la portière son visage de babby, distribuant des sourires. « Qui n’a pas vu Turin ce jour-là, dit l’auteur des Ricordi, ne sait pas ce que c’est que l’allégresse d’un peuple portée jusqu’au délire. » Ce fut pour Massimo d’Azeglio le signal d’une sorte de majorité prématurée, d’émancipation soudaine. Étudiant la veille, il entrait le lendemain dans la carrière en suivant d’abord son père, envoyé comme ambassadeur à Rome auprès du pape Pie VII, puis en prenant l’uniforme d’officier dans le régiment de Royal-Piémont cavalerie. Cet officier doublé d’un diplomate avait dix-huit ans, de la bonne humeur, une nature ardente, une intelligence souple et hardie, un incroyable besoin de vivre, le diable au corps, comme il dit, — et ne demandait pas mieux que de faire son chemin.

Il y a des hommes qui n’ont jamais su être jeunes, et c’est leur malheur ; il y a des hommes qui veulent l’être toujours, et c’est leur ridicule. Massimo d’Azeglio, qui a su si naturellement s’élever au rôle de patriote quand l’heure est venue, avait tout bonnement commencé par le commencement. Adolescent à peine dans ces années qui suivaient 1815, voyant tout lui sourire, il dépensait sa jeunesse sans compter. Il était de toutes les fêtes et de tous les plaisirs, il remplissait la ville du bruit de ses équipées, et plus d’une fois le soir, après avoir fait son service à la Vénerie, où il