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choix d’une école ou d’une carrière pour des enfans. Voici par exemple une famille vivant à Florence dans une obscure et heureuse tranquillité ; voici un homme qui, « après avoir vu tomber ce qu’il aimait le plus au monde, l’indépendance et la dignité de son pays, espère au moins rester ignoré dans son refuge toscan. » La main de Napoléon ne l’atteignait pas moins de toute façon. Il était défendu aux Piémontais, devenus les Français de Turin, d’envoyer leurs enfans dans des maisons d’éducation à l’étranger, et le marquis d’Azeglio, qui avait mis trois de ses fils au collège Tolomei à Sienne, fut obligé de les retirer, Car Sienne était l’étranger. Tous les Piémontais émigrés eurent l’ordre de rentrer dans leur pays et de venir porter leur serment de fidélité au nouveau maître. Ce fut la plus cruelle épreuve pour le marquis d’Azeglio, qui se sentait lié par un autre serment. Il écrivit à son pauvre roi Victor-Emmanuel, en lui offrant d’aller le rejoindre en Sardaigne et de rester le compagnon de ses malheurs ; mais Victor-Emmanuel lui répondit en l’engageant doucement à se soumettre, ajoutant qu’il n’était pas sûr « d’avoir du pain pour lui-même et pour ses serviteurs, » Le marquis d’Azeglio reprit tristement avec les siens la route de Turin, où il se renferma dans l’obscurité, vivant entre quelques amis, observant strictement, en homme d’honneur, le serment qu’il avait prêté par nécessité, mais au fond irréconciliable adversaire. Ce n’est pas tout : laissez passer quelques années ; un jour arrive par le préfet de Turin, A Lameth, un ordre de Napoléon prenant au marquis d’Azeglio deux de ses fils. L’un, celui qui devait être jésuite et qui faisait déjà ses études ecclésiastiques, était désigné pour l’école militaire ; l’autre, celui qui a été sénateur depuis, était enrôlé comme auditeur au conseil d’état avec la fleur de la jeunesse piémontaise d’alors, César Balbo, Prié, Guasco, un des Collegno. Le marquis d’Azeglio n’avait été nullement consulté, et il reçut comme un coup de foudre cette faveur à laquelle il ne pouvait échapper. Tout au plus réussit-il à obtenir un sursis d’une année pour celui de ses fils dont on faisait un soldat malgré lui. Massimo était trop jeune encore pour avoir un rôle ; c’était un écolier d’une humeur libre et vive, qu’un précepteur ecclésiastique avait déjà de la peine à contenir ; mais, comme il le dit, il voyait la tristesse qui était dans la maison : il sentait l’oppression en voyant son père la ressentir.

Et voilà comment le jour où éclataient les sinistres bulletins de la campagne de Russie, la domination napoléonienne en déclin rencontrait dans certaines parties de l’Italie, dans le Piémont surtout, la réaction de tous les sentimens qu’elle avait comprimés ou offensés ! Voilà comment le jour où la déroute définitive s’annonçait