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pas rendus à l’appel qu’il saurait bien les rejoindre, s’ils ne rapportaient pas leurs armes.

Notre voyageur n’avait plus d’escorte ! Que faire ? à quel parti s’arrêter ? Renoncer à son expédition ? Impossible, il n’y veut pas songer. Faire venir une nouvelle escorte de Karthoum ? Mais où l’attendre ? car à Gondokoro il ne serait pas en sûreté après le départ des marchands d’ivoire et de leurs agens. Partir avec ses deux serviteurs ? Mais les tribus qu’il devra traverser, dépourvues de toute idée d’humanité, sont remplies de haine contre les étrangers depuis que les Turcs s’y sont établis et y ont commis mille déprédations. Baker s’arrêta enfin à l’idée de faire un nouvel effort pour ramener au sentiment du devoir ses Turcs révoltés. Il fit venir son wakil, qui lui avait solennellement promis, lorsqu’il l’avait pris à son service, de maintenir ses hommes sous une bonne discipline, et il lui déclara que, s’il ne remplissait pas ses engagemens en réunissant le reste de sa compagnie qu’il n’avait pas congédié, il s’en plaindrait aux autorités de Karthoum, qui le puniraient sévèrement. Celui-ci prit au sérieux cet avertissement, et se mit à la recherche de ses hommes. Il parvint à en ramener dix-sept, qui se montrèrent disposés à suivre M. Baker, pourvu qu’il dirigeât sa course vers l’est ; le voyageur y consentit. Le lendemain, il apprit que, s’ils demandaient à aller du côté de l’est, c’était pour l’abandonner et se joindre à la troupe d’un nommé Mohammed-Her, qui se trouvait dans cette direction ; mais il espéra qu’en traitant ses gens avec justice et bienveillance, il parviendrait à leur inspirer quelque attachement.

Sur ces entrefaites arriva le facteur de Courshid-Aga, nommé Ibrahim, à la tête d’une compagnie de cent quarante Turcs et de deux cents nègres. Il apportait à son commettant un chargement d’ivoire. Son centre d’opération était à l’est dans le pays des Latoukas. Comme Baker était dans les meilleurs termes avec Courshid, il pensa que son facteur ne ferait aucune difficulté de l’admettre dans sa caravane et de lui servir d’escorte. Il se trompait. Ibrahim, instruit sans doute de la résolution de ses collègues et des motifs qui la leur avaient suggérée, s’y refusa péremptoirement, ajoutant même qu’il repousserait Baker par la force, si celui-ci s’obstinait à vouloir le suivre.

Baker ne tint pourtant pas compte de ses menaces. Il connaissait l’esprit fanfaron de ces Arabes et surtout leur vénalité. Il comptait sur les présens qu’il lui ferait pour obtenir son concours. Aussi bien fallait-il en finir et mettre un terme à tant d’accablantes incertitudes. Il savait que, de quelque côté qu’il dirigeât sa course, les difficultés ne lui manqueraient pas, et qu’un plus long délai n’en diminuerait ni le nombre ni la gravité. Il ordonna donc à ses gens de charger les chameaux et les ânes, leur déclarant qu’il allait