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rasites, mais en même temps ils leur perçaient la peau et y faisaient de véritables trous dont l’animal souffrait au point de ne pouvoir plus manger. Baker fut obligé de louer des négrillons pour chasser ces oiseaux ; mais quand ils étaient expulsés d’un côté, ils se cramponnaient de l’autre ou sous le ventre, et continuaient leur œuvre destructive.

M. Baker s’était adressé à Mohammed, qui avait escorté Speke et Grant, pour qu’il lui rendît le même service. Non-seulement il s’y refusa, mais il s’entendit avec tous les autres facteurs pour contrecarrer le projet de Baker et lui susciter des obstacles qui l’obligeassent à y renoncer. Ils le considéraient comme un espion envoyé par le gouvernement anglais pour connaître la manière dont ils se procuraient l’ivoire et la révéler aux nations européennes, qui forceraient ensuite le gouvernement égyptien à mettre un terme à un si odieux trafic. Dans cette pensée, ils travaillèrent les hommes de l’escorte de notre voyageur, leur disant qu’il était indigne d’un mahométan de servir un chrétien, qu’aussi bien ils mourraient de faim en route faute de bétail, puisqu’ils n’avaient pas d’esclaves à donner en échange, que cet Anglais les conduirait on ne sait où, assez loin en tout cas pour qu’il leur fût impossible de revenir dans leur pays ; bref, ils auraient le même sort que l’escorte de Speke, laquelle, partie de Zanzibar au nombre de deux cents individus, se trouvait réduite à dix-huit. Ces manœuvres réussirent. L’escorte tout entière de Baker se décide à l’abandonner avec armes et bagages, et tous s’engagent à faire feu sur lui, s’il essayait de les désarmer. Le moment était critique. Notre voyageur, instruit de ce complot, fait venir son wakil, c’est-à-dire le chef de son escorte, lui ordonne de faire battre le rappel et de dire à ses hommes de se réunir armés devant sa tente. Il y place en guise d’estrade son lit de camp, sur lequel il fait mettre cinq carabines à deux coups, un revolver et un sabre qui coupait comme un rasoir. Il s’assit sur cette estrade improvisée, armé d’une sixième carabine ; à ses côtés sont deux serviteurs qui lui étaient restés fidèles, également armés. Sa femme se tenait derrière lui, chargée de lui indiquer le premier individu qui ferait mine d’ôter le caoutchouc dont la lumière des fusils était couverte. Quinze hommes seulement obéirent au rappel. Il leur commande de déposer leurs armes ; ils s’y refusent. « Fils de chiens, s’écrie-t-il en armant son fusil, à bas vos armes ! » Cette attitude ferme et menaçante les intimide, ils se montrent irrésolus. Quelques-uns se placent derrière leurs camarades. Saisissant ce moment d’hésitation, il dit à son wakil de les désarmer ; mais ces hommes ne consentent à livrer leurs armes qu’à la condition d’être déchargés de leur engagement. Ces termes sont acceptés, la décharge est signée. Baker les invite à prévenir ceux qui ne s’étaient