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L’organisation provinciale de l’armée prussienne présente encore un autre avantage : elle facilite beaucoup la mobilisation et l’incorporation des réserves. Les hommes vivent tous à peu de distance du régiment qu’ils doivent compléter, ou du dépôt qu’ils doivent rejoindre. Ils sont sous la main des autorités civiles et militaires. En deux jours, ils peuvent être sous les armes. C’est ainsi que pour sa dernière campagne la Prusse a pu mettre sur pied un demi-million d’hommes dans l’espace de quelques semaines. L’organisation territoriale prussienne est donc en résumé meilleure pour la défensive ; le système unitaire français vaut mieux pour la guerre offensive et pour les expéditions lointaines.

La réserve créée par le nouveau projet pour faire équilibre à la landwehr en diffère notablement. La landwehr se compose, pour la plus grande part, d’hommes sortant de l’armée active ; la réserve au contraire comprend en France les hommes qui n’entrent pas dans l’armée. La landwehr forme des corps tactiques indépendans ; la réserve ne paraît destinée qu’à renforcer les régimens de ligne. Le temps de service dans la landwehr s’ajoute à celui qu’on doit passer dans l’armée active ; en France, le service dans la réserve tient lieu de celui dans la ligne. La landwehr fournit donc probablement une force mieux exercée. En Prusse, les hommes de la ligne en congé et les hommes de la milice se valent à peu près. En effet, un homme de la landwehr est un vétéran parfaitement dressé, ayant passé trois ans sous les drapeaux, qui, de 27 à 32 ans est dans toute la force de l’âge, qui est régulièrement exercé aux grandes manœuvres et au tir : une fois rappelé au régiment, il y reprend bientôt toutes les habitudes militaires. En France, l’homme de la nouvelle réserve, n’ayant pas servi, dispensé même de toute présence au corps dès qu’il saura manier le fusil, sera très inférieur au garde national actuel, parce qu’il sera moins intelligent, attendu qu’il sortira des classés peu aisées[1].

Le système français apporterait au mariage plus d’obstacles que le système prussien. En effet, en Prusse, le mariage n’est interdit

  1. Les hommes de la landwehr, pendant la guerre du Slesvig-Holstein, furent versés dans les régimens de ligne, et les officiers des deux catégories servirent ensemble sans que la meilleure entente cessât de régner entre eux. Ceux de la milice paraissent ne l’avoir cédé aux autres sous aucun rapport. Sur 1,286 lieutenans de l’armée en campagne, 259, soit environ un cinquième, appartenaient à la landwehr. Ceux-ci comptèrent 6 tués sur 25 et 18 blessés sur 74, soit un quart. Un cinquième d’entre eux reçurent des récompenses honorifiques pour leur bravoure, chiffre exactement en rapport avec leur nombre. Ainsi, relativement à la ligne, ils se distinguèrent tout autant et s’exposèrent davantage. Tous les écrivains militaires de la Prusse qui se sont occupés de la dernière campagne reconnaissent les services rendus par la landwehr. Voyez notamment les écrits de M. Rustow, qui jouit d’une grande autorité en cette matière.