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partis à regret pour une guerre généralement condamnée ; mais, une fois au régiment, ils voulurent soutenir l’honneur militaire du corps et faire bravement leur devoir[1]. L’idée du devoir est le ressort des armées du nord, tandis que l’amour de la gloire est celui des armées du midi. Nelson dit à ses marins : « L’Angleterre attend de chacun de vous qu’il fasse son devoir. » Napoléon dit à ses soldats : « Du haut de ces pyramides, quarante siècles vous contemplent, » ou bien : « Revenus dans vos foyers, vous pourrez dire : J’étais à Marengo, à Austerlitz. » Ainsi parler de soi aux autres ou leur en faire parler, tel est le but à atteindre. Le sentiment du devoir à remplir est un plus noble et plus puissant levier que celui de la gloire à acquérir, car le premier soutient même dans la mauvaise fortune, tandis que l’autre n’enlève que dans le succès. Fais ce que dois, advienne que pourra, avec cette devise je suis prêt à tout ; si je n’ai soif que d’illustration, les revers me découragent, car mon but m’échappe.

La nouvelle organisation qu’on propose pour l’armée française diffère grandement du système prussien. Si le projet primitif était voté, les forces militaires de la France se composeraient de l’armée active, de la réserve et de la garde nationale mobile. Tous les hommes valides seraient enrôlés pendant six ans soit dans l’armée active soit dans la réserve. Après ces six années, ils entreraient dans la garde nationale mobile pour trois années encore : donc durée totale du service neuf années. Les jeunes gens de la réserve seraient formés dans les dépôts, à moins qu’ils n’aient appris chez eux le maniement du fusil et le tir. Dans ce cas, après examen, on les dispenserait des exercices annuels, et on ne les convoquerait que pour les prises d’armes. La réserve serait divisée en deux bans, le premier ban étant spécialement destiné à compléter les régimens de ligne en cas d’expédition, même en temps de paix, et sur l’ordre du ministre de la guerre. Ainsi donc tout homme valide de vingt ans serait tenu de servir, mais l’exonération et la permutation seraient tolérées. C’est le tirage au sort qui déterminerait ceux qui entreraient dans l’armée active et ceux qui formeraient la réserve. On compte en France environ 326,000 jeunes gens atteignant chaque année l’âge de vingt ans, dont 160,000 seulement sont considérés comme ayant les qualités requises de taille, de force et de santé. La moitié, soit 80,000 hommes, constituerait

  1. J’ai eu l’occasion de lire plusieurs lettres écrites par des soldats en campagne dans l’armée de Bohême, avant Sadowa. « Nous ferons notre devoir, écrivaient-ils ; mieux nous nous battrons, plus tôt nous aurons achevé la besogne, et plus tôt nous rentrerons dans nos foyers. » Raisonnement du travailleur qui veut achever sa tache, non du soldat pour qui la guerre est une carrière.