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faire payer les services rendus à la coalition. Elle récupéra la moitié de ses anciennes provinces polonaises, et, comme le reste fut cédé à la Russie, elle obtint en compensation les provinces rhénanes, toute la Westphalie et une grande partie de la Saxe, qu’elle aurait voulu s’incorporer tout entière. Son territoire mesurait alors 278,500 kilomètres carrés peuplés d’environ 10 millions d’âmes. De 1815 à 1865, la Prusse n’a pas acquis de nouvelles provinces, mais grâce aux progrès extraordinaires de l’agriculture et de l’industrie la population a presque doublé en s’élevant à 19,500,000 âmes, et la condition même des classes inférieures s’est améliorée.

Nous venons de suivre d’un coup d’œil rapide les agrandissemens successifs de la Prusse ; tâchons de démêler maintenant quelles sont les causes de cet accroissement continu, poursuivi de siècle en siècle. Parmi ces causes, il en est trois qui frappent tout d’abord : premièrement cette force de concentration qui a donné naissance aux nationalités modernes, secondement la réforme, enfin l’organisation de l’armée.

Les nationalités modernes se sont constituées à la plus grande gloire des souverains et au non moins grand avantage des peuples. Le régime féodal, avec ses mille souverainetés locales, n’était tolérable que pour des peuples encore barbares. Ces souverainetés indépendantes, n’ayant pas au-dessus d’elles de force qui pût régler pacifiquement leurs différends, en appelaient sans cesse aux armes. Pas de semaine, pas de jour même sans luttes sur toute la surface de l’Europe. Partout des chocs incessans d’hommes en armes. Les vilains, qui ne demandaient qu’à vivre de leur travail, étaient entraînés dans ces sanglantes querelles, tantôt concitoyens, tantôt ennemis, suivant les convenances d’un mariage, d’un legs ou d’une vente. Des gens de même langue, de même race, de même religion, des voisins parfois devaient s’entr’égorger sur un mot de leurs maîtres. Les seigneurs, pour se nuire, dévastaient les campagnes, brûlaient les moissons, saccageaient les villes. Les puissans se battaient, mais sur le dos des manans. Point de sécurité, donc aucun développement économique, sauf à l’abri des murs fortifiés des communes assez fortes pour tenir tête aux barons féodaux. En somme, c’était un régime atroce. Bacon a dit admirablement : In societale aut lex, aut vis valet. D’abord la force règne seule, même d’homme à homme ; la loi n’a point d’empire, c’est la barbarie primordiale. Plus tard, la force encore décide de tribu à tribu ou de fief à fief ; mais déjà, au sein de chacun de ces groupes, la loi est respectée. C’est l’âge héroïque ou féodal. Enfin les fiefs s’agglomèrent, les nations se forment ; ce n’est plus qu’entre elles que la guerre éclate. La paix règne dans les limites de chaque état. Voilà où nous en