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n’avaient aucune relation avec la Prusse, fief dépendant de la Pologne et éloigné de plus de cent lieues. L’électeur Joachim resta catholique ; mais, son cousin Albert, grand-maître de l’ordre teutonique, sécularisa l’ordre, et échangea son titre contre celui de grand-duc héréditaire de Prusse. Cet important événement demande quelques mots d’explication.

L’ordre teutonique est une des plus singulières institutions du moyen âge. Compagnie à la fois ecclésiastique et militaire, puissance redoutable pendant trois siècles et propriétaire de tout un royaume, ce ne fut d’abord qu’une association charitable pour soigner les blessés, fondée pendant la seconde croisade, au siège de Saint-Jean-d’Acre, par un bourgeois de Lubeck. Quelques années après, en 1220, le chef de l’ordre, Hermann von der Salza, en transporta le siège à Venise, puis en Prusse vers 1228. La Prusse était une contrée sauvage, habitée par des tribus d’origine slave, encore païennes à cette époque, attendu qu’elles avaient chassé et massacré les missionnaires venus pour les convertir. Elle s’étendait le long des rivages de la Baltique, depuis le Niémen jusqu’à la Wartha ; son nom en latin du temps était Borussia. Appelés par l’évêque de Riga et par la Pologne, les chevaliers de l’ordre arrivent avec la mission de dompter ces féroces païens. Des colons germains les suivent pour occuper les terres confisquées. C’est une nouvelle croisade qui aboutit à la germanisation du pays. Les Allemands endiguent les rivières, dessèchent les marais qui couvraient presque tout le territoire, et créent des prairies où ils entretiennent de nombreux troupeaux. Marienburg sur la Vistule, non loin de Dantzig, est la résidence du grand-maître. Kœnigsberg, la cité royale, est fondée en 1255. Chaque canton constitue un fief occupé par un de ces chevaliers voués au célibat, mais sans cesse recrutés parmi les cadets de la noblesse germanique. L’ordre ayant à chaque décès de riches domaines à sa disposition, les hommes aventureux et braves venaient sans cesse se ranger sous sa bannière. Au bout d’un siècle, la contrée est transformée. Les anciens habitans sont ou tués ou convertis et domptés, ils travaillent la terre comme les Allemands et se fondent avec eux. Des villes s’élèvent, remplaçant les anciens forts et les maisons grossièrement construites. Des échanges se nouent avec les ports hanséatiques. L’ordre teutonique arrive à son apogée aux XIVe siècle ; mais bientôt les richesses, mortelles à toute corporation ecclésiastique, le plongent dans la corruption, et excitent l’envie des puissances voisines. Il lutte avec courage contre les attaques sans cesse renouvelées des Polonais, jusqu’à ce qu’en 1410 il subisse la défaite sanglante et décisive de Tannenberg. Les chevaliers résistent encore. ; mais les villes, écrasées d’impôts, se