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l’Atlantique, New-York, et la capitale de l’Allemagne du nord sont toutes deux à l’origine des colonies hollandaises.

Lorsqu’en 1417 Frédéric de Hohenzollern vint prendre possession de l’électorat de Brandebourg, il le trouva complètement ruiné par l’anarchie qui avait suivi l’extinction de la ligne des margraves descendant d’Albert l’Ours. Les petits seigneurs vivaient de rapines, levaient des taxes sur les marchands, pillaient les bourgeois, et puis se disputaient entre eux à main armée le droit de rançonner les habitans. La production de la richesse était arrêtée, les échanges impossibles, la culture de la terre négligée même par les laborieux Hollandais. C’était l’idéal du régime féodal. Quand le nouvel électeur se présenta, il fut accueilli comme un sauveur par tous les vilains, mais comme un ennemi par les barons. Ils lui refusèrent l’hommage. « Que nous veut, disaient-ils, cette poupée de Nuremberg ? » faisant allusion aux jouets d’où déjà provenait alors la prospérité de la cité dont Frédéric était burgrave.

Le Hohenzollern réunit une petite troupe d’hommes d’armes franconiens, et fit venir un engin nouveau dont les hauts et puissans seigneurs ne connaissaient pas encore les effets. C’était un canon d’une dimension inouïe pour l’époque, lançant des boulets de 24. On appelait cette pièce faule Grete[1], la paresseuse Marguerite, à cause de la difficulté qu’on avait à la mouvoir.

Le plus puissant des barons rebelles, Dietrich von Cuitzow, se croyait bien à l’abri derrière les murs de son burg de Friesack, qui avaient quatorze pieds d’épaisseur. Frédéric arrive au milieu de l’hiver, traînant avec lui sa redoutable Marguerite sur la terre gelée. Il ouvre le feu, et en quarante-huit heures le château démantelé est réduit à demander merci. Le seigneur de Putlitz, autre tyranneau, est dompté aussi expéditivement, et bientôt tous les barons se soumettent, voyant qu’il n’y avait pas à lutter contre les boulets de 24. C’est ainsi que dans le Brandebourg la féodalité fut vaincue par l’artillerie. Un pouvoir central actif et respecté fit régner l’ordre et assura la sécurité sur les routes et dans les villes. L’agriculture, le commerce, l’industrie, se développèrent. Le travail prit tout l’empire que perdit la violence. Les guerres civiles de château à château cessèrent dans les limites de l’électorat par la suppression des souverainetés seigneuriales. C’est l’âge moderne qui commence aux bords de la Sprée, comme à la même époque il

  1. Il existe encore et Gand un énorme canon du même genre et presque de la même époque, mais beaucoup plus gros encore. On l’appelle deule Greete (Marguerite l’enragée.) Ce qu’il y a de curieux, c’est qu’il est formé de lames de fer forgées et retenues par des cercles de fer comme le sont les canons Armstrong, qui ont eu en Angleterre un succès si retentissant.