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nous ne les apprécierons pas en ce moment ; il fan chercher l’explication. Les succès militaires, je le sais, ne sont pas de ceux dont un peuple à notre époque doive beaucoup s’enorgueillir. Les plus nobles conquêtes sont celles que l’on fait sur la nature et sur l’ignorance, et mieux vaut améliorer la condition matérielle et morale de l’ouvrier qu’annexer des provinces. Néanmoins, quand un état donne tout à coup les preuves d’une puissance hors de toute proportion avec ses ressources apparentes, il importe de savoir où il a puisé cette force nouvelle.

À cette question, il est une réponse toute prête et qu’on trouve partout : c’est le fusil à aiguille qui a tout fait. Cette explication superficielle sera peut-être acceptée par cette école historique qui se plaît à trouver toujours aux grands effets de petites causes, elle n’est même pas exacte comme fait militaire, car à la journée décisive de Sadowa les positions défensives occupées par les Autrichiens neutralisèrent presque entièrement l’avantage du tir rapide de l’arme prussienne. Non, de pareils résultats tiennent à de tout autres causes qu’au perfectionnement d’un fusil ou d’un fusil ou d’une cartouche. Certaines influences agissent silencieusement et préparent inaperçues les événemens qui éclatent tout à coup comme une surprise. Des causes économiques, résultant elles-mêmes de causes morales, engendrent dans l’ombre ces forces qui, au jour de l’épreuve, assurent la victoire. Et même cette arme fameuse à qui on attribue tout le succès, pourquoi se trouva-t-elle aux mains des uns et point aux mains des autres ? C’est apparemment parce que les Prussiens avaient eu un coup d’œil plus juste pour en apprécier les avantages et plus d’argent pour en acheter le nombre voulu. Et pourquoi ont-ils eu plus de perspicacité et plus d’argent que leurs adversaires ? Parce qu’en Prusse l’instruction était plus répandue, le génie d’invention plus éveillé, le goût du progrès plus actif, le travail mieux dirigé, les finances mieux administrées, en un mot toutes choses conduites avec plus d’ordre, d’économie et d’intelligence. Quoi qu’on fasse, c’est donc à des causes morales qu’il faut remonter dès qu’on veut expliquer les faits humains, et tout grand succès en ce monde est toujours le résultat d’une force de l’esprit ou d’une vertu du caractère. Depuis sa naissance, qui ne date pas de bien loin, la Prusse a grandi rapidement, constamment, par la paix comme par la guerre, et même depuis 1815 jusqu’avant ses derniers accroissemens sa puissance s’était développée plus notablement que celle de tout autre peuple européen. Quelles circonstances ont favorisé cet agrandissement ? Voilà ce qu’il faudrait montrer.