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pour faire avorter les demandes d’interpellation dans les bureaux. Cette défiance ne nous paraît point fondée. Les causes qui ont déterminé la nouvelle politique intérieure nous paraissent une garantie suffisante de la sincérité du gouvernement ; la seule façon pour lui de tirer profit du système qu’il inaugure, c’est de l’établir avec un large libéralisme. Il est trop visible que, s’il cherchait à contrarier par de mesquines et hargneuses tentatives le jeu des combinaisons qu’il a lui-même imaginées, il froisserait l’opinion publique, et fournirait à l’opposition des griefs nouveaux et une force plus grande. D’ailleurs les assemblées ont le sentiment élevé de leurs prérogatives et de leur honneur. Le droit d’interpellation, une fois entré dans nos habitudes, fera donc son chemin tout seul. Favorisé par les progrès de l’éducation politique et par la marche des événemens, il finira bien par obtenir ou conquérir les sanctions pratiques qui lui seront nécessaires pour assurer la régularité de l’action de l’opinion publique sur le pouvoir.

Il ne nous parait pas utile de devancer par des critiques préventives les projets de loi qui nous sont promis sur le droit de réunion et sur la presse. Nous aurions plus d’inclination à ne considérer d’abord que les tendances favorables indiquées par les promesses de l’empereur. Le droit de réunion, nous le croyons, sera intégralement admis pour tous les intérêts qui ne sont point directement liés à la politique. Le commerce des intelligences, l’action commune des intérêts, trouveront de précieuses ressources dans les facilités qui vont ainsi leur être ouvertes. Un des maux de notre état social est cet isolement invétéré où se dispersent et s’effacent les individus découragés de toute action concertée — plus sans doute par la lente tyrannie d’une législation administrative défiante et restrictive que par les mœurs. Il faudra se féliciter si la loi, en se réformant, réussit à réparer une partie des dommages causés par les anciennes routines légales. Le droit de réunion devra aussi recevoir une application partielle dans la vie politique. On dit qu’il sera conféré aux citoyens pendant la période électorale. Avec des réunions libres, le suffrage universel reprend un de ses organes les plus essentiels, et la liberté électorale acquiert une garantie efficace. Certes il n’est point douteux que le succès de cette expérience de la liberté dans la lutte des élections ne doive nous acheminer bientôt à l’exercice plus étendu du droit de réunion en matière politique et à la liberté d’association, — si nécessaire à l’organisation naturelle du suffrage universel. Quant à la presse, le changement apporté à sa situation par l’abolition des décrets de 1852 est peut-être la plus considérable des réformes annoncées. La pensée politique, dans son mouvement le plus continu, dans ses manifestations les plus fréquentes et les plus familières, échappe enfin au contrôle administratif. On ne comprendra peut-être plus, quand la presse aura recouvré son entière dignité au juste prix d’une responsabilité complète, les tristes sensations qu’ont dû éprouver depuis quinze ans ceux qui ont eu le courage patient d’écrire avec indépendance sur les affaires publiques. Pour les écrivains de cette classe, la cessation