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la sensation intense de la situation nouvelle que les dernières vicissitudes de l’Allemagne faisaient à la France. Sa première pensée dans cette situation si imprévue a été d’assurer la sécurité du pays vis-à-vis de l’étranger par la réorganisation de ses forces militaires ; une autre pensée, celle du réveil politique de la nation, devait infailliblement accompagner la première. Comment demander à la nation de nouveaux efforts et de nouveaux sacrifices sans lui rendre l’exercice des droits qui peuvent seuls exciter et entretenir son énergie morale ? Était-il possible de persister dans un système de restrictions qui paralysaient les facultés de la France au moment où à côté de nous une grande race prenait tout à coup une si vaste expansion militaire et politique ? En face des événemens que l’avenir inconnu tient en réserve, un dictateur populaire pouvait-il avoir la pensée de concentrer indéfiniment dans l’initiative d’un seul l’activité politique qui doit constituer la sécurité permanente d’une nation destinée à survivre aux chefs qu’elle se donne ? Ces hautes et graves pensées ont dû, dès l’origine des combinaisons de politique étrangère de l’année dernière, saisir l’esprit d’un chef d’état sur qui un pouvoir immense plaçait une responsabilité non moins vaste. Dans cette rencontre dramatique, la force des choses interprétant impérieusement les devoirs du patriotisme était aux prises avec une volonté souveraine. L’empereur a terminé ce duel par une résolution virile. Il n’a plus hésité à rappeler la nation à la vie politique.

Tel est à notre avis le sens de l’acte du 19 janvier. C’est une victoire de la force des choses consentie par une prévoyance éclairée de patriotisme. Il s’agit maintenant que cette victoire devienne une volonté persévérante de la France, et ne soit point contestée et neutralisée par l’entêtement chicanier et les vulgaires visées des exécuteurs subalternes. On a trouvé un peu ambitieuse la portée que l’empereur a donnée dans sa lettre à M. Rouher à l’ancienne métaphore du couronnement de l’édifice, représenté aujourd’hui comme achevé. Le droit d’interpellation rendu aux chambres, la rentrée de la presse dans le droit commun, le droit de réunion réglementé, ont produit sur un grand nombre de personnes l’effet d’un couronnement médiocre. C’est que les images en politique prennent mal la mesure des choses. Il nous semble que de la part de l’empereur le couronnement de l’édifice se borne à la renonciation au pouvoir discrétionnaire. Le pouvoir discrétionnaire une fois abandonné, le reste, c’est-à-dire l’œuvre de la liberté, regarde le pays. Les constitutions politiques, comme disait Royer-Collard, ne sont point des tentes dressées pour le sommeil. Elles ne s’achèvent jamais. La vie d’un peuple libre y ajoute sans cesse des développemens nouveaux. Le pouvoir discrétionnaire cessant, les chambres pouvant agir sur le gouvernement par les interpellations, les citoyens et l’opinion pouvant agir sur le gouvernement et sur les chambres par l’exercice du droit de réunion et par une presse qui ne sera plus assujétie à une autorité préventive, la semence de la liberté est véritablement jetée dans le pays, et il dépend de notre vigilance, de notre travail, de notre applica-