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l’expérience ultérieure l’a bien prouvé ; telles qu’elles étaient, elles sortaient du fond de nos âmes et non point de nos cahiers ! Nous partions pour la province avec un assez maigre bagage d’idées et de connaissances ; mais on travaillait pour s’instruire et s’éclairer. On inventait peu, je l’avoue, mais on réfléchissait beaucoup ; on se nourrissait de la lecture des grands maîtres, et on en nourrissait son enseignement, sans faire demander à Paris ce que l’on devait enseigner. Tel a été l’enseignement fondé par M. Cousin ; rien ne lui fait plus d’honneur. C’est là qu’il a développé le plus de suite et de volonté dans un dessein excellent et vraiment utile. Si depuis, par les soins d’un ministre éclairé, la philosophie est rentrée dans l’enseignement, c’est en renouant une tradition qui n’avait jamais été entièrement interrompue qu’il lui a été possible de se reconstituer avec autant de facilité que de succès.

Un mot encore sur l’impulsion personnelle de M. Cousin. Il partait d’un principe assez peu goûté des administrateurs pratiques, c’est que le professeur ne doit pas se renfermer dans sa classe ou dans son cours, mais doit travailler à côté, maintenir son esprit en haleine par des travaux élevés et libres qui l’empêchent de s’éteindre dans la routine mécanique d’un enseignement monotone ; il voulait en un mot que les professeurs ne fussent pas seulement des professeurs, mais fussent encore des savans et des écrivains. C’est ainsi qu’il a fait une école dont il ne me convient pas d’exagérer les mérites, mais qui occupe certainement une place distinguée dans la littérature contemporaine. Or sous ce rapport son influence était de tous les instans et toujours en éveil. Était-on disposé, dans les langueurs d’un séjour de province, à s’oublier paresseusement, un mot de M. Cousin vous réveillait et vous rappelait à vous-même. Venait-on le voir à Paris pour le plaisir de causer avec lui, on en remportait le remords de n’avoir pas travaillé, et des projets ardens et précis à la fois qu’on avait hâte d’exécuter. Son éternel sursum corda était un aiguillon qui ne vous laissait pas un instant en repos. S’il ne suscitait pas ainsi de grandes œuvres, c’était la faute de ceux qui les faisaient (car il ne défendait à personne d’avoir du génie) ; mais il suscitait des œuvres utiles et de solides travaux, et c’est en général ce que fait un chef d’école, car le génie ne s’inspire que de soi-même et n’a pas besoin d’être provoqué.


III

Ce besoin énergique d’action, cette activité belliqueuse qui se manifeste dans la philosophie de M. Cousin nous donne aussi le