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latitude nord, n’était, il y a une quarantaine d’années, qu’un poste militaire établi par Méhémet-Ali, lorsque ce pacha prit possession de la Nubie et du Kordofan pour ajouter aux nombreux monopoles qu’il s’était adjugés celui du commerce des esclaves. Cette colonie militaire attira une population civile, et devint le noyau d’une ville qui compte à l’heure qu’il est trente mille habitans. Grecs, Syriens, Cophtes, Arméniens, Turcs, Arabes, Égyptiens et nègres. Elle est le chef-lieu du Soudan et la résidence d’un gouverneur. La garnison, composée d’Égyptiens et de nègres, varie de six mille à dix mille hommes. On y compte une trentaine de maisons européennes, parmi lesquelles sont les consulats de France, d’Autriche, d’Angleterre et des États-Unis. Bâtie le long du Nil-Bleu, sur un terrain plat et bas, cette ville est sale et malsaine. Les environs sont uniformes et tristes ; on n’aperçoit que quelques rares bouquets de mimosas, qui s’élèvent au milieu d’une plaine aride et blanche. Le commerce de détail y est très actif. Les bazars sont bien approvisionnés de fruits, de poissons, de légumes, et renferment un grand nombre de boutiques de quincaillerie et de verroterie. L’industrie locale se borne à la fabrication d’un peu de savon et de quelques barils d’huile de sésame. La bijouterie y est florissante. Les ouvriers sont habiles à confectionner les filigranes et en général ces coupes à pied et ces élégantes aiguières dont les Turcs ornent leurs plateaux. Il s’y fait un assez grand trafic d’ivoire, de gomme, de séné, de vin, de coton et de sésame. Les négocians de Karthoum frètent deux cent cinquante vaisseaux et barques pour la navigation fluviale. Le commerce serait bien plus considérable et le pays bien plus prospère, si les autorités égyptiennes avaient la plus légère notion de l’économie politique ; mais leurs idées sur ce point sont d’une simplicité primitive. S’enrichir aux dépens du peuple par des exactions de tout genre, telle est leur unique science. Cette ignorance absolue dans l’art d’asseoir les impôts a donné naissance à un proverbe arabe : à l’herbe ne pousse jamais là où le Turc a mis le pied. »

Baker fit sans délai ses préparatifs de départ. Il loua trois navires, dont un ponté, appelé Diabea, avec quarante hommes pour les manœuvrer. Ce dernier bâtiment lui coûtait 200 francs par mois de location. Le capitaine et le charpentier lui en demandèrent 35 et les marins 10, outre leur nourriture. Il engagea quarante-cinq hommes pour lui servir d’escorte et onze individus, hommes et femmes, qui devaient être attachés à son service, ce qui élevait le chiffre de son personnel à quatre-vingt-seize. Il acheta vingt et un ânes, quatre chameaux, quatre chevaux, quatre chèvres laitières, et ses provisions en armes, munitions de chasse, vivres, verroteries, objets de toilette, marchandises de toute espèce étaient énormes. Il avait à bord 145 hectolitres de dourah et autres céréales du pays. Il fit faire un