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car elle était engagée précisément dans le même combat. Fichte, lisez ses œuvres, s’exprimait avec autant d’éloquence et de passion que l’a fait plus tard M. Cousin contre la philosophie des sens et de la matière. L’Allemagne comme la France traduisait Platon pour réveiller le sentiment de l’idéal. Schelling et Hegel se croyaient et étaient à certains points de vue des platoniciens. En France, l’opiniâtre adversaire de l’école nouvelle, l’apôtre violent, mais convaincu, du matérialisme, Broussais, dont le nom est redevenu un signal et un drapeau, appelait ses adversaires des kanto-platoniciens, enveloppant Kant et Platon, par un singulier malentendu, dans une même accusation de mysticisme. Pouvons-nous donc nous étonner que M. Cousin, tout entier à son entreprise de lutte contre la philosophie du dernier siècle, n’ait vu alors dans la philosophie allemande que les analogies de cette pensée, fort nuageuse d’ailleurs, avec sa propre pensée ?

Plus tard, lorsque le condillacisme eut été entièrement éteint, lorsqu’avec M. de Tracy disparut le dernier idéologue, et avec M. Broussais le dernier matérialiste, et que cette double cause put paraître à jamais vaincue, l’alliance philosophique de l’Ecosse, de l’Allemagne et de la France, jusqu’alors si étroite en apparence, commença de se dissoudre. Le dernier grand écossais, M. Hamilton, poussa l’esprit de son école à sa dernière conséquence, la négation absolue de la métaphysique. Le dernier grand survivant du cycle allemand, M. de Schelling, protesta contre l’interprétation française de sa doctrine, et défendit contre M. Cousin la prédominance de la métaphysique sur la psychologie. Par cette double attaque, aussi courtoise d’ailleurs et aussi noble dans l’expression qu’elle était grave dans le fond des choses, M. Cousin fut amené à expliquer et à circonscrire avec précision sa propre philosophie et à se séparer à la fois de l’Ecosse et de l’Allemagne : de l’Ecosse en maintenant la légitimité de la métaphysique, de l’Allemagne en soutenant la nécessité de fonder la métaphysique sur la psychologie. C’est alors qu’il se rattacha plus étroitement que jamais à la tradition de Maine de Biran et de Descartes ; c’est alors aussi que, provoqué par les objections de l’école théologique et par l’accusation montante de panthéisme qui l’enveloppait de jour en jour, il prit énergiquement parti pour la double personnalité de l’homme et de Dieu, question qui n’avait occupé jusque-là que le second plan dans sa pensée.

J’obéis ici en quelque sorte aux dernières volontés de M. Cousin en signalant, comme l’un des points auxquels il tenait le plus et qui devait rester attaché à son nom, l’idée de fonder la métaphysique sur la psychologie. Voici ce qu’il m’écrivait, il y a un an, dans une