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éloquens qui sont devenus le désespoir de ses successeurs. J’étais avec lui lorsqu’en 1845 il se remit à réviser ses premiers cours, et notamment celui de 1818, sur le vrai, le beau et le bien ; je l’écrivis sous sa dictée, je le rédigeai d’après ses conversations. Ces conversations étaient d’admirables leçons où il s’abandonnait à toute sa verve, à toute son imagination. Les traits les plus brillans et les mouvemens les plus nobles que nous pouvons retrouver aujourd’hui dans le livre imprimé lui échappaient dans l’entraînement d’une improvisation absolument libre ; reproduits et fixés par une plume qui s’efforçait d’être fidèle, ils étaient ensuite corrigés et développés par un travail plus froid et plus réfléchi. Que de pages admirables furent ainsi faites, je m’en souviens, dans de belles soirées de printemps, sous les arbres majestueux de Saint-Cloud et de Sèvres, aux rayons d’un soleil couchant ! Je vois encore cet œil étincelant, j’entends cette voix vibrante, ces accens passionnés ; qu’était-il besoin d’une chaire ou d’un public ? La nature servait de théâtre, et un seul auditeur suffisait pour enflammer l’enthousiasme du professeur. C’était Socrate, mais Socrate parlant tout seul, et dans un de ces momens d’enthousiasme que décrit Alcibiade dans le Banquet de Platon.


II

Le professeur n’a jamais été contesté chez M. Cousin ; le philosophe l’a beaucoup été. Ce procès sera longtemps débattu. Contentons-nous, en évitant les controverses stériles, de recueillir les traits les plus éclatans et les moins contestables de sa carrière philosophique. Or d’un aveu unanime M. Cousin a fait deux choses en philosophie : il a fondé en France l’histoire de la philosophie ; il a relevé et défendu pendant cinquante ans avec une énergie indomptable l’idée spiritualiste. Ceux à qui cette idée est désagréable ne peuvent pas évidemment lui en savoir beaucoup de gré ; quant à la première de ces deux œuvres, elle est d’une utilité si évidente, toute dispute d’école mise à part, que les esprits désintéressés n’hésiteront pas à y reconnaître une solide et véritable conquête pour l’esprit humain. Nous avons déjà, dans la Revue même, signalé avec précision les services rendus par M. Cousin à l’histoire de la philosophie[1]. Nous n’avons pas à y revenir, notre objet étant d’ailleurs ici beaucoup moins de faire une analyse précise et

  1. Voyez la Revue du 15 janvier 1866, sur l’Histoire de la Philosophie et l’Eclectisme.