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paroles, jetait la foi chrétienne en bien d’autres périls que les licteurs et les bourreaux de ses plus farouches persécuteurs. Lui aussi prétendait ne faire la guerre à Jésus-Christ que par amour pour sa doctrine, ne le dépouiller de sa divinité que pour mieux assurer son triomphe, mieux propager ses bienfaits, et rendre en même temps la foi moins difficile et la raison plus satisfaite. C’était exactement la même transaction qu’on croit inventer aujourd’hui. Et telle est la puissance de ces doctrines énervantes, que, même en ces temps de foi encore jeune et vivace, le monde s’y laissa prendre. Un demi-siècle à peine après la mort d’Arius, la contagion avait gagné l’Orient tout entier, une partie de l’Occident, et en dehors de l’ancien monde romain tous les peuples barbares récemment convertis. Transportez-vous à ce moment de crise où se jouait la destinée du monde, cherchez à deviner ce qui allait arriver : à ne consulter que les lois humaines, les calculs de probabilités, le christianisme n’était-il pas perdu ? Son adversaire avait pour lui la faveur de Constantin lui-même, l’adhésion ardente de son fils, toutes les forces de l’empire, tous les ressorts par qui le monde se laissait encore gouverner. Pour maintenir la foi, pour sauver du naufrage la divinité de Jésus-Christ, il fallait un miracle, une sorte de révélation nouvelle, une autre prédication de saint Paul. Ce miracle, il eut lieu. Ce qu’un homme avait fait, un homme le défit : Athanase eut raison d’Arius ; mais le christianisme n’avait pas moins failli périr, et l’arianisme moderne peut très bien se flatter qu’il aura cette fois meilleure chance, qu’un Athanase, un Basile, un Grégoire, un Jérôme, ne seront pas toujours là pour foudroyer ses argumens et reconquérir le monde au profit de la vérité. Ses menaces, ses prédictions sinistres ne sont donc pas de pures forfanteries : le danger est réel ; l’hérésie de nos jours dispose d’auxiliaires qui doublent sa puissance. Ce n’est plus corps à corps, en champ clos, avec les armes purement théologiques qu’elle combat l’orthodoxie : la lutte est générale ; tout le monde s’en mêle, toutes les armes font feu. Une coalition formidable s’acharne contre la foi ; les sciences naturelles étroitement comprises, les sciences métaphysiques orgueilleusement conduites, la critique historique habilement romanesque, autant de forces qui font faisceau au profit du nouvel arianisme. Ne voit-on pas que cette ligue est autrement puissante et fait d’autres blessures que les frivolités railleuses du dernier siècle ? Ce n’est plus seulement par la tactique et l’armement qu’elle est en notable progrès, le sol lui-même, le terrain de la lutte est également changé à son profit. Chrétiennement parlant, on peut dire que la société est aujourd’hui démantelée. Tous les abris, toutes les positions qui appartenaient