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peut-être sont ceux qui ne philosophent pas, ceux qui n’opposent aux progrès des saintes vérités qu’indifférence et inertie ; mais ce n’en est pas moins un fait étrange et digne d’attention que l’éclosion simultanée de tous ces systèmes anti-chrétiens. Isolément, il n’y a pas à s’en préoccuper : ils ont au fond si peu de nouveauté, si peu de consistance ! Vus d’ensemble, ils forment comme un front de bataille qui ne laisse pas que d’être imposant. Aussi nous comprenons que M. Guizot, voulant se rendre compte des forces antichrétiennes, prenne à part chacun de ces systèmes et s’arrête à les interroger ; mais on méconnaîtrait, ce nous semble, sa plus évidente intention, si l’on voyait dans les esquisses qu’il en trace autant de réfutations en règles et de traités ex professo. Il n’a voulu que donner la mesure de ces divers systèmes en les faisant passer sous la toise du sens commun. Discuter plus à fond, c’eût été un hors d’œuvre : il avait mieux à faire, et sa préface sur ce point avait clairement annoncé sa pensée. Peu importe après tout que ces systèmes soient jugés de l’une ou de l’autre façon, le résultat reste le même : qu’on les effleure à la surface, qu’on en pénètre les secrets, qu’on en sonde l’appareil scientifique, l’opinion qu’on s’en fait ne peut guère varier. Ils gagnent même à n’être qu’entrevus. Plus on les creuse, plus on en met à nu les frêles fondemens, les lacunes et les misères, l’impuissance et la vanité. Encore un coup, ce n’est pas de ce côté qu’il y a beaucoup à craindre. Certains esprits peuvent s’y laisser prendre ; la contagion ne peut chez nous s’en étendre bien loin. Les ténèbres du panthéisme, les rêves de l’idéalisme, les sécheresses du positivisme, les froideurs du rationalisme, les grossièretés du matérialisme ne séduiront, n’entraîneront jamais la masse des esprits français. Il y a là plus de bruit que de danger réel ; seulement l’ensemble de ces systèmes, si discordans, si opposés qu’ils soient entre eux, par cela seul que contre le christianisme ils sont tous également hostiles, devient une puissance dont il faut tenir compte. Ils font faisceau : c’est quelque chose de nouveau, c’est une coalition, une ligue qui n’appartient qu’à notre temps.

Est-ce à dire que le christianisme ait jamais manqué d’ennemis, et d’ennemis concertant leurs attaques ? Sans remonter bien haut dans son histoire, à ne parler que du siècle dernier, n’est-ce pas une ligue aussi, et une ligue anti-chrétienne, si jamais il en fut, que ce concert de tous nos beaux esprits enrôlés par Voltaire pour affranchir le monde des superstitions religieuses ? Peut-être même ce mouvement du XVIIIe siècle semble-t-il au premier abord plus violemment anti-chrétien que celui de nos jours. On y sent plus le parti-pris, il va plus droit au but. Ses armes sont légères, mais il en use à tout propos, sans trêve ni relâche. C’est un feu roulant