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dominans ? Pourquoi vouloir changer ce qui a toujours existé ? La foi chrétienne est aujourd’hui ce qu’elle était hier, peu tolérante pour son temps : laissez-la faire, il doit en être ainsi. — A quoi nous répondons que c’est jouer sur les mots et se payer d’équivoque que de confondre deux choses aussi parfaitement distinctes, l’esprit du siècle généralement parlant, en d’autres termes l’esprit mondain, ce cortège de passions et de vices toujours les mêmes à toutes les époques sous de légères diversités de formes, et l’esprit de chaque siècle pris en particulier, c’est-à-dire l’ensemble des idées, des mœurs et des institutions qui impriment à la société de chaque époque une physionomie différente. Que le christianisme soit l’adversaire naturel, permanent et nécessaire de l’esprit mondain, des vices et des passions des hommes, qu’il le soit en tout temps, en tout lieu, aujourd’hui comme hier, que lui conseiller sur ce point la moindre innovation fût une méprise et un oubli de sa vraie raison d’être, de sa mission et de sa dignité, rien de plus incontestable ; mais prétendre qu’il soit de sa nature incapable de s’accommoder à l’esprit de telle ou telle époque, qu’il ne sache que blâmer et combattre les idées, les tendances, les lois des siècles où il vit, c’est donner aux témoignages de l’histoire, aux faits les plus clairs et les plus authentiques un trop étrange démenti. Comparez donc les derniers siècles de l’empire d’Occident et les premiers de l’époque féodale, sont-ce les mêmes mœurs, le même état de société, les mêmes institutions ? Y a-t-il rien de plus dissemblable, de plus contradictoire ? Eh bien ! le christianisme n’a-t-il pas tour à tour soutenu l’empire jusqu’à sa dernière heure et prêté le concours le plus franc et le plus efficace à l’établissement de la féodalité ? Puis, quand le système monarchique a peu à peu pris le dessus et triomphé de l’anarchie féodale, le christianisme s’est-il mis en travers ? A-t-il fait à cette nouveauté le moindre obstacle, la moindre résistance ? Ne l’a-t-il pas acceptée de bonne grâce ? Ne s’est-il pas associé aux idées, aux principes, aux devoirs, à la fortune même, aux grandeurs de la royauté ? Ce que nous lui demandons aujourd’hui, c’est de faire une fois de plus ce qu’il a toujours fait, d’accepter sans regret et sans hostilité un changement nécessaire, irrévocable, conforme à la nature des choses et par là même légitime, de traiter en un mot l’esprit moderne d’aujourd’hui comme jadis il a traité tous les autres esprits modernes qui ont successivement apparu en ce monde.

Pourquoi la conciliation lui serait-elle cette fois plus difficile et plus embarrassante ? Les idées de liberté sont-elles donc étrangères et inconnues au christianisme ? ne les a-t-il jamais pratiquées ? N’ont-elles pas au contraire entouré son berceau ? n’est-ce pas au