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serment, quoique le gouvernement nouveau l’interprétât sans doute autrement que n’avait fait Napoléon[1]. Prisonnier à Savone, le saint-père eut, à son tour, tout le temps de connaître la vanité des courtes espérances qu’il avait mises dans l’heureuse entente un moment établie avec le chef du grand empire français; mais à l’heure dont nous parlons ces terribles leçons que préparait l’avenir sur la fragilité de l’alliance entre l’église et l’état n’étaient pas même entrevues par les plus sagaces esprits. Seule peut-être, Mme de Staël, guidée par sa haine de la tyrannie renaissante, avait franchi les mers pour aller en imagination chercher sur les côtes de l’Amérique le modèle d’un état de choses encore voilé en Europe aux yeux de la plupart de ses contemporains.

A considérer terre à terre, mais sainement, les choses, à ne tenir compte que de leur valeur du moment, il n’est point douteux que l’empereur avait beaucoup gagné au sacre. Cette éclatante solennité avait eu pour premier effet de faire entièrement oublier, sauf de quelques âmes rigides et fières, le meurtre du duc d’Enghien, et cette adhésion formelle du souverain pontife avait calmé presque tous les scrupules. A la voix de celui qui avait appelé les bénédictions du ciel sur le nouvel élu du Seigneur, les barrières étaient tout à coup tombées, qui retenaient encore, non pas seulement les vulgaires convoitises, celles-là étaient depuis longtemps franchies, mais aussi les légitimes aspirations de beaucoup d’honnêtes ambitieux qui bridaient de servir un chef de gouvernement dont tous les actes ne supportaient pas le rigoureux examen des consciences délicates, mais qui se montrait alors si heureux, si habile et si fort. Ainsi, tandis que de cette première rencontre entre les représentans des deux grands pouvoirs qui se disputent la terre Napoléon sortait humainement grandi, s’il pouvait l’être encore à cette époque, Pie VU, il faut bien en convenir, restait spirituellement un peu diminué; lui-même en avait conscience.

Ce fut l’âme triste et le cœur troublé qu’il revint à Rome, attendant non sans inquiétude le jugement que porteraient sur les fruits de son voyage les membres du sacré-collège romain et les catho-

  1. Cette formule du serment consignée dans l’article VI du concordat, par laquelle les évêques s’obligeaient, si dans leur diocèse ou ailleurs ils apprenaient qu’il se tramât quelque chose contre la sûreté de l’état ou au préjudice de l’état, à le faire savoir au gouvernement, n’a pas été maintenue en 1830. Elle fut abolie pendant le court passage de M. de Broglie au ministère de l’instruction publique et des cultes. Les évêques prêtèrent alors le serment des pairs et des députés. Sous la république, les évêques eurent, comme tous les autres citoyens, le bonheur de n’en prêter aucun. Il n’est pas hors de propos de faire observer que, tandis qu’en Italie on offre au saint-père de dispenser les évêques du serment, il vient d’être rétabli en France suivant la vieille formule du concordat.