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à Paris, Napoléon put facilement deviner que Pie VII ne serait jamais le pontife qui se prêterait à un pareil projet. A supposer qu’il y eût un instant songé, il fut vite désabusé. Un homme considérable de la cour impériale que le pape n’a point voulu nommer, mais qui passait pour colporter parfois à titre d’essai les pensées du maître, ayant parlé un jour devant lui de la possibilité pour le pape d’habiter Avignon ou d’accepter un palais papal à l’archevêché de Paris, où l’on pourrait établir un quartier privilégié comme à Constantinople, quartier dans lequel le corps diplomatique accrédité auprès de l’autorité pontificale aurait le droit exclusif de résider, le saint-père, effrayé de ces paroles plutôt insinuées qu’adressées directement, crut nécessaire d’y couper court. « On a répandu, dit-il devant ce même grand-officier, on a répandu le bruit qu’on pourrait nous retenir en France. Eh bien ! tout est prévu. Avant de partir de Rome, nous avons signé une abdication régulière et valable, si nous sommes jeté en prison. L’acte est hors du pouvoir des Français. Le cardinal Pignatelli en est dépositaire à Palerme, et quand on aura signifié les projets qu’on médite, il ne vous restera plus entre les mains qu’un moine misérable qui s’appellera Barnabé Chiaramonti[1]. »

Aujourd’hui, placés à distance et facilement éclairés sur la valeur des faits par les conséquences qu’ils ont portées, nous pouvons sans grand mérite apprécier de sang-froid ce singulier événement de la venue du pape à Paris et du couronnement par ses mains du glorieux représentant de la révolution française. Il nous est aisé de reconnaître qu’il n’a point tenu les promesses qu’il semblait annoncer à l’église, comme à l’empire. « Napoléon attachait une extrême importance à cette cérémonie; il était fortement persuadé, dit le comte Miot de Melito, que l’onction religieuse reçue des mains du pontife rendrait sa personne sacrée. » — « Il était rempli de l’idée que cette cérémonie l’avait beaucoup relevé aux yeux des Français, écrit M. de Pradt; très souvent je l’ai entendu mettre son sacre au nombre des causes qui le faisaient le plus considérer par la nation. » Aux jours de l’infortune, Napoléon a pu se rendre compte de ce que valait aux yeux de la multitude cette consécration religieuse. A l’île d’Elbe, à Sainte-Hélène, il a pu lire des harangues non moins adulatrices, non moins enthousiastes et plus sincères peut-être que celles qui lui étaient naguère adressées, portées par tous les évêques de son choix aux pieds des princes légitimes, que, lui régnant, ils avaient si vite et si complètement oubliés. Rien n’était changé pour eux, pas même la formule de leur

  1. Histoire du pape Pie VII, par M. Artaud, t. II, p. 45.