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rité. La réception pleine de respect et d’affection qu’il rencontra de la part des habitans de Paris lui procura aussi un peu de soulagement. Qu’il faille l’attribuer à son caractère sacré ou à l’impression produite par son âge, par le doux éclat de son visage le plus souvent animé du plus gracieux sourire, l’accueil empressé de la multitude ne lui fit en effet jamais défaut pendant tout le temps de son séjour dans la capitale. Chose singulière, et qu’on aurait peine à croire si l’on ne savait ce que peuvent être sur ce point délicat les susceptibilités des pouvoirs absolus, même les mieux établis, même les plus illustres, Bonaparte fut un moment jaloux de la popularité de Pie VII. Par un misérable ombrage, le glorieux vainqueur de tant de batailles qui passait au Champ-de-Mars des revues où courait la foule enthousiaste de ses admirateurs ne put prendre sur lui de permettre que le pape officiât pontificalement à Notre-Dame, et Pie VII, au jour de Noël, fut obligé d’aller dire une messe basse dans quelque obscure chapelle de paroisse. Quand vint le moment du départ, qui coïncida avec les solennités de la semaine sainte, on le fit s’arrêter à Mâcon, nous raconte Consalvi, de peur que, se trouvant le jour même de Pâques à Lyon, ville très catholique, il n’y éclipsât l’empereur[1].

Pie VII ne réclama pas une seule fois contre les traitemens dont il fut l’objet pendant son séjour en France, traitemens que son ministre et son confident dévoué, le cardinal Consalvi, nous représente avec un peu d’exagération comme ayant été une suite d’affronts continuels. A quelque point de vue qu’il les ait considérés, nous croyons qu’ils affectèrent assez peu le souverain pontife en comparaison de l’immense et douloureux désenchantement qu’il rapporta de Paris. Sans doute il était encore loin d’entrevoir les prochaines catastrophes qui allaient bientôt menacer le siège de Saint-Pierre. Il s’en fallait de beaucoup qu’il s’imaginât être à la veille d’une rupture ouverte avec le nouveau souverain de la France. Il avait toutefois perdu à son égard presque toutes ses illusions. Il avait senti, au contact de la personne elle-même, combien deviendraient de plus en plus dures et de plus en plus impitoyables les exigences de ce dominateur si violent, si absolu, incapable d’admettre jamais aucune résistance à ses volontés, et moins que toute autre celle qu’un jour il rencontrerait dans la conscience du pontife qui venait de le sacrer. De son côté, s’il couvait dès lors (ce dont nous doutons un peu) les vues étranges exposées dans ses mémoires, sur le parti qu’un empereur français, dominateur de l’Europe entière, pourrait tirer d’un pape transporté avec tout son pouvoir spirituel de Rome

  1. Mémoires du cardinal Consalvi, t. II, p. 462.