Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 67.djvu/638

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des infortunes individuelles, car ces infirmités et ces infortunes sont d’essence humaine, et l’intérêt général commande d’y remédier, coûte que coûte. Est-ce donc au nom de la philosophie et de la morale que M. Jules Simon propose une doctrine qui, dans bien des cas, serait impitoyable ? Non. Ce dédain pour l’assistance, ce hautain refus du bienfait, cette revendication exclusive d’un droit que les multiples hasards de la vie pour chacun de nous peuvent désarmer et rendre vain, tout cela procède de la doctrine démocratique ou plutôt d’un faux point d’honneur de la démocratie, et ce langage n’est pas nouveau. Sous prétexte de liberté, on nous dit : Secouez tout ce qui est dépendance, soyez indépendans, — comme si dans les liens où nous enserre la civilisation moderne la solidarité ne nous prenait pas tous au service les uns des autres. Au nom d’un droit dont on ne garantit pas la pleine possession, l’on supprime un devoir dont la pratique aide précisément à combler les lacunes de ce droit. Et après que l’on a dit aux ouvriers (car c’est pour eux surtout que la démocratie déploie son éloquence) qu’ils ont encore à conquérir l’indépendance personnelle, on leur conseille de s’unir, de former une classe, une caste à part, de façon à lutter avec succès, contre qui ? — Apparemment contre le reste de la société. On oublie ainsi que la société n’a plus de classes. On reforme ce que la révolution a détruit. On tente de relever les barrières que l’égalité a jetées bas, et l’on risque de réveiller la guerre là où la suppression des classes, le rapprochement des individus, la notion de plus en plus grande de la solidarité, permettraient d’espérer non-seulement l’apaisement des anciennes discordes, mais encore l’harmonie complète et le bien-être général, par le progrès des mœurs et par la diffusion plus prompte des principes économiques.

Nous nous sommes étendu sur cette question, qui paraît n’être qu’accessoire, mais qui donne lieu à des controverses très ardentes. Il est bien permis de dire que la politique l’a dénaturée, car en réalité il n’y a là qu’un malentendu. Ceux-là mêmes qui, invoquant l’intérêt de la dignité populaire, veulent proscrire du champ du travail l’intervention de ce bon génie qui s’appelle tantôt la charité, tantôt l’assistance, et que nous croyons pouvoir nommer plus justement la solidarité, ces puristes de l’égalité qui veulent la liberté et la justice, rien de plus, rien de moins, sans se préoccuper autrement des conditions trop souvent imparfaites des sociétés humaines, ceux-là sont les premiers à invoquer, quand il le faut, les remèdes que la solidarité tient en réserve et à pratiquer largement pour leur propre compte, en dépit de leurs principes abstraits, l’œuvre d’assistance. De même, ceux qui pensent que l’assistance a son rôle