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en apparence, cette marque de déférence chrétienne qui est d’usage à l’égard des pontifes, et qu’à Vienne Joseph II n’avait pas refusée au prédécesseur de Pie VII. Tout cela se trouvait sauvé par le fait d’une rencontre fortuite en pleine forêt, un jour pluvieux du mois de décembre. « La voiture du pape s’arrêta, dit l’un des témoins de cette scène, sitôt qu’il aperçut l’empereur. » Il sortit par la portière de gauche avec son costume blanc; il y avait de la boue; il n’osait mettre à terre son pied chaussé de soie blanche. Cependant il fallait bien qu’il en vint là, raconte avec une sorte de triomphe celui qui avait eu mission de présider naguère à l’exécution du duc d’Enghien, et sur lequel Napoléon avait trouvé tout simple de s’en remettre du soin de régler les détails de son entrevue avec Pie VII[1]. Tout avait été prévu en effet, et les pas comptés à l’avance. Quand le pape fut à une distance convenable, l’empereur s’approcha à son tour, et tous deux s’embrassèrent. Il avait été convenu que l’empereur ramènerait le saint-père au palais de Fontainebleau dans sa propre voiture; mais qui monterait le premier? C’est là qu’éclata toute l’habileté du futur duc de Rovigo. Les conducteurs de cette voiture la firent avancer comme par une sorte d’inadvertance de manière à ce qu’elle séparât l’un de l’autre Pie VII et Napoléon. Des hommes apostés aux deux portières et qui avaient le mot d’ordre les ouvrirent en même temps; l’empereur prit celle de droite, un officier de la cour indiqua au pape celle de gauche; ils montèrent tous deux ensemble. L’empereur se mit naturellement à droite, et ce premier pas, ajoute avec une satisfaction visible le zélé serviteur de Napoléon, décida de l’étiquette pour tout le temps que devait durer le séjour du pape à Paris.

A Fontainebleau, le pape fut reçu avec grande solennité par Joséphine, par la famille impériale et par la cour entière, réunie à l’entrée du bel escalier qui occupe le milieu de la façade du vieux château. La joie rayonnait sur le visage de l’empereur, dit un témoin oculaire, tandis qu’il en franchissait les degrés accompagné de Pie VII. Ses regards, encore plus animés que d’ordinaire, semblaient dire : Regardez, voilà ma conquête! Par l’effet du hasard ou par une nouvelle combinaison dont l’à-propos nous échappe, la marche du cortège était ouverte par le corps des mameluks que Napoléon avait ramené d’Egypte. « L’aspect du visage de ces circoncis et de leurs costumes orientaux transportait à La Mecque, et faisait croire à la présence d’un grand-prêtre de Mahomet plutôt qu’à celle d’un pape. La figure de Pie VII témoignait de l’embarras qu’éprouve naturellement toute personne qui se sent dans un

  1. Mémoires du duc de Rovigo, t. II, p. 111.