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ces motifs sérieux de sécurité, le public ajouta l’espoir d’une large moisson à faire sur les forclusions, terme barbare qui exprime la clause inhumaine de la perte du capital pour les héritiers des prédécédés ; mais les événemens ont déjoué ces calculs : d’une part, les brusques variations du taux des rentes françaises, la baisse continuelle de ces rentes depuis la formation des sociétés, surtout la réduction du 5 pour 100 en 4 1/2 et la conversion de ce dernier en 3 pour 100 ont singulièrement réduit le capital des souscripteurs ; d’autre part, la mort a été plus clémente qu’on ne l’avait supposé. Les répartitions ne donnent plus que de maigres bénéfices, pas même la plupart du temps 50 pour 100 en sus du capital réellement versé, ce qui n’est guère pour compenser la perte des intérêts pendant une période de vingt ans et le risque de la perte du capital. Aussi les sociétés tontinières déclinent-elles rapidement, et nous citerions telle compagnie où les versemens annuels se totalisent aujourd’hui par autant de dizaines de mille francs qu’ils réunissaient autrefois de millions. Pour notre part, ce résultat n’a rien de regrettable. Le calcul qui a pour base l’espoir de la mort d’un coassocié n’est pas plus moral que ne nous paraît habile, sous une forme ou sous une autre, la spéculation qui peut entraîner la perte du capital. La mise en commun de chances si inégales choque aussi toute raison. Faire une société de vingt ans, ce qui est la règle ordinaire, entre un enfant né d’hier, qui a 75 chances contre 25 de mourir avant la dixième année, et un homme de 30 ans, dont les chances de vivre le même temps et même davantage sont précisément le contraire, c’est faire courir le même prix par Gladiateur et un cheval boiteux. Si l’on établit des sociétés pareilles, au moins comme dans le handicap, où l’on compense par des surcharges de poids les chances différentes des chevaux engagés, faut-il que l’on équilibre les risques, que les bénéfices soient plus grands à raison des probabilités plus défavorables. Toutefois la réforme qui paraît la plus souhaitable, c’est l’abolition de la forclusion même. À ce compte, on prétendra sans doute que les mutualités, sous cette forme du moins, n’auront plus de raison d’être : tant mieux assurément, si cela ramenait à des mutualités d’un autre genre ; mais à un certain point de vue ces associations présenteraient encore quelque utilité. Elles seraient des caisses d’épargne d’une espèce particulière et qu’on pourrait appeler épargnes différées, si la clause interdisant la répartition des bénéfices, pendant vingt ans par exemple, subsistait toujours. L’accumulation seule des intérêts, surtout avec la faculté pour les compagnies de faire, comme elles le demandent en vain, des placemens sur d’autres valeurs que la rente 3 pour 100, constituerait au terme des sociétés mutuelles un bénéfice que chacun des assurés ne pourrait obtenir lui-même, quelque bon