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est pas de même. L’idée primitive qui explique tout, ils ne s’en préoccupent pas; les phénomènes de tous les jours, ils les dédaignent. Ils veulent être étonnés par des faits extraordinaires. Les monstres scientifiques séduisent la foule, et les vulgarisateurs cèdent à cette tendance qu’ils devraient combattre. Ainsi en géologie, s’ils vous parlent de basaltes, ils vous citeront avant tout la Chaussée des Géans de l’Ardèche ou la grotte de Fingal dans l’île de Staffa, comme des types de cette nature de roches. Ce ne sont là cependant que des phénomènes exceptionnels. Ils ne vous parlent pas des nappes et des filons basaltiques que l’on rencontre bien plus souvent et qui sont plus curieux en réalité, bien que moins grandioses, parce que ces roches singulières y apparaissent sous toutes les formes, en colonnes, en coulées, avec les modifications métamorphiques qu’elles produisent dans les terrains adjacens. Tous ces détails sont cependant de même importance. En ne montrant que la Chaussée des Géans comme un spectacle, on confisque tout au profit d’un effet unique qui domine et commande seul l’attention du spectateur.

Une étude superficielle de ce genre ne demande, il est vrai, ni méditation ni constance; il n’est pas même besoin de s’y appliquer. En définitive n’est-elle pas préférable à l’oisiveté? Les connaissances imparfaites que l’on acquiert par ce moyen ne valent-elles pas mieux qu’une ignorance absolue? A cette objection la réponse est vraiment facile. Dans l’enseignement élémentaire, il ne s’agit pas de graver des faits ou des mots dans la mémoire, mais de nourrir et développer l’intelligence et d’inculquer à l’élève des notions exactes. Toute étude est profitable quand même le fond en serait futile, si elle est une gymnastique pour l’intelligence. Elle sera au contraire bien superflue, s’il n’en sort d’autre résultat qu’une surcharge indigeste pour la mémoire.

On prétendra peut-être qu’il faut laisser les anciennes méthodes, trop laborieuses, à ceux qui veulent aborder les plus hautes spéculations de la science, et qu’au vulgaire il convient de présenter l’enseignement élémentaire sous une forme moins rigoureuse et moins doctrinale. Cela est vrai sans doute, mais à tous les degrés, de l’initiation scientifique l’important est que l’élève, loin de se borner à un programme superficiel, se pénètre intimement de ce qu’il apprend. Ce principe d’une vérité banale est admis dans toutes les écoles; on le retrouvera même exposé avec beaucoup de justesse dans le plan d’études du nouvel enseignement spécial récemment inauguré en France. « Il faut habituer les élèves, dit le ministre de l’instruction publique[1], à ne jamais regarder sans voir, les obliger à se rendre compte des phénomènes qui s’accomplissent dans le milieu où ils sont placés, et leur faire goûter si bien le plaisir de comprendre que ce plaisir devienne un besoin pour eux, en un mot développer dans l’enfant

  1. Circulaire aux recteurs, du 6 avril 1866. — Des Méthodes.