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ligne, pas un mot qui de près ou de loin indique ce qu’a pensé la cour de Rome d’un crime présent alors à tous les esprits, et dont les instances qui lui étaient maintenant adressées avaient justement pour but de provoquer l’oubli, et d’assurer, si cela eût été possible, la justification[1]. Cependant, si grande et selon nous si fâcheuse que fût la discrétion du Vatican, elle n’impliquait point l’indifférence. Nous ne croyons pas nous tromper en imputant à l’indignation trop renfermée, mais réelle de la cour de Rome la tranquille froideur avec laquelle elle reçut les dépêches de son représentant à Paris qui lui annonçaient l’élévation de Napoléon à l’empire. « Le pape attendra pour féliciter l’empereur que toutes les formalités de l’heureux changement de la république en monarchie aient été remplies, et que l’on connaisse le résultat des votes que le premier consul, dans sa sagesse et sa modération, a voulu obtenir avant d’accepter la couronne[2]. » Voilà qui ne concordait guère avec l’ardeur empressée du cardinal Caprara. Quant à la venue du saint-père à Paris, « le pape est fortement frappé, écrit Consalvi, de la gravité de la demande qui lui est adressée... Il n’y a pas en dix-huit siècles exemple d’un aussi long voyage entrepris pour un motif humain. Il y faut absolument un motif religieux très sérieux pour justifier l’abandon de sa résidence et la stagnation des importantes affaires ecclésiastiques de presque toutes les parties de l’Europe qui se traitent en ce moment à Rome... Il est indispensable de trouver le moyen de colorer ce voyage aux yeux du public et auprès des cours étrangères[3]. » Cet accueil peu gracieux, ces atermoiemens mal dissimulés désespéraient le légat, qui écrivait presque chaque jour pour implorer, outre le prompt envoi de ses lettres de créance, un bref de courtoisie pour l’impératrice Joséphine et la copie du cérémonial suivi lors du voyage de Pie VI à Vienne, qui lui est tout à fait indispensable, ajoute-t-il, pour répondre aux questions qui lui sont adressées sur ce qu’il y aura à

  1. A la page 387 des mémoires de Consalvi, nous trouvons une note assez vague de l’éditeur, qui, sans en indiquer la provenance et la nature, cite un écrit où le cardinal prête au saint-père les sentimens que nous lui supposons nous-même. « Quand le cardinal Fesch vint, de la part du chef de la France, annoncer au pape l’assassinat de cette grande et innocente victime, le saint-père pleura beaucoup, et dit que ses larmes coulaient autant sur la mort de l’un que sur l’attentat de l’autre. Dans sa pensée. Pie VII déplorait amèrement cette mort, mais il déplorait encore plus amèrement peut-être que Bonaparte s’en fût rendu coupable. Les explications embrouillées que le cardinal Fesch était chargé de lui présenter ne le convainquirent point, et lorsqu’on mit en question le couronnement de Bonaparte et le voyage à Paris, la mort du duc d’Enghien fut une des causes secrètes qui firent si longtemps hésiter le saint-père. »
  2. Le cardinal Consalvi au cardinal Caprara, 23 mai 1804.
  3. Ibid., 30 mai 1804.