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pétent. Il est un tort commun aux hommes publics que l’Espagne a mis de nos jours en évidence ; plusieurs de ces personnages ont montré de brillantes facultés politiques, une culture d’esprit distinguée, des aptitudes remarquables qui nous ont souvent frappés et séduits. Peu de pays ont produit un personnel politique plus nombreux et d’un niveau intellectuel plus élevé ; toutes ces qualités ont été perdues pour ceux qui les possédaient et pour l’Espagne par la précipitation des ambitions et l’indocilité générale à l’autorité tutélaire des lois. Les chefs politiques de l’Espagne contemporaine n’ont fait que passer le temps à corrompre le peuple, l’armée et la royauté suivant l’instrument qu’ils croyaient utile d’employer pour s’emparer du pouvoir par force, par surprise ou par intrigue. Dans ces derniers temps, c’est surtout la royauté qui avait été gâtée par les compétitions sans scrupules des hommes politiques. La reine ne pouvait être sérieusement contrôlée par le cabinet existant, car elle était harcelée par les offres de coteries qui mettaient sans cesse à sa disposition des ministères de rechange. Un dissentiment survenait-il entre la reine et ses conseillers, le cabinet était renvoyé, et aussitôt un autre ministère était formé avec son chef militaire et ses orateurs obligés. De l’abus de cette versatilité gouvernementale, qui découvrait la royauté, étaient nés dans les rangs de l’armée des fermens de désordre, et, de la part de quelques chefs, la résolution de demander à l’usurpation militaire ce qu’on n’espérait plus obtenir avec certitude et durée de la prérogative royale. De là les tristes ou sanglantes insurrections militaires qui ont éclaté dans ces derniers temps, l’aventure picaresque de Prim, le soulèvement. des artilleurs de Madrid et la répression cruelle qui l’a suivi. Après ces troubles, le vainqueur O’Donnell crut que les voies constitutionnelles ne suffisaient plus pour assurer l’apaisement de l’Espagne, et se fit décerner par les certes ces pleins pouvoirs, cette dictature que le maréchal Narvaez vient d’employer avec tant de violence contre le parti d’O’Donnell, l’Union libérale. La prétention de tous les pouvoirs fondés par la force est, après avoir établi l’ordre, de donner une impulsion salutaire aux intérêts économiques du pays trop longtemps négligés, à sa prospérité matérielle trop longtemps attardée. Le maréchal Narvaez et ses collègues annoncent aujourd’hui le même programme ; il faut même leur rendre cette justice qu’ils ont mis tout de suite la main à l’œuvre. Ils ont accordé une remise de taxes à l’industrie des chemins de fer espagnols, où tant de capitalistes français sont intéressés ; ils ont conclu un emprunt avec des contractans français ; ils ont nommé une commission chargée d’étudier un ensemble de mesures destinées à soulager ou à aider les entreprises de chemins de fer ; ils couronneraient heureusement cette série d’actes économiques et financiers, s’ils avaient aussi la prudence de nettoyer les marchés de fonds publics de ces dettes criardes de l’Espagne, que les cabinets successifs de Madrid y laissent traîner depuis si longtemps sous le nom de