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avec la Russie l’emportera toujours à Berlin sur des velléités de concert avec la France quand la France et la Russie auront elles-mêmes des intérêts opposés. L’alliance russe est pour ainsi dire une condition d’existence de la monarchie prussienne : Frédéric II l’a placée dans les fondemens de l’état qu’il a créé ; fortifiée depuis par des opérations communes et par une solidarité persistante dans les terribles luttes du commencement de ce siècle, l’alliance russe, qui n’a jamais répugné au peuple prussien, est devenue pour la cour de Berlin une union où se mêlent les sentimens de famille les plus intimes et une sorte de mysticisme religieux. Quand les Allemands auront appris à ne plus nous redouter, quand ils auront cessé de croire qu’ils sont obligés, pour nous contenir, de s’enfermer dans les cadres prussiens, sans doute un jour, si c’était nécessaire, la confraternité de la civilisation continentale rallierait l’Allemagne à la France pour fixer des limites à l’amliition mystérieuse et ondoyante de cette civilisation orientale que la Russie représente. Ce jour est bien éloigné encore, et, poussée par d’autres préoccupations, l’Allemagne se fait prussienne. Ce serait une des plus funestes méprises inspirées par le désarroi politique actuel que de caresser la chimère d’une alliance de sympathie et de pi’éférence entre la France et la cour de Berlin. Restent l’Autriche et l’Angleterre. Sur l’Autriche plane un terrible doute : que peut-elle ? Sur l’Angleterre règne une grande incertitude : que pense-t-elle ? Ce n’est pas lord Stanley qui se montrera pressé de nous le dire et de prendre des engagemens. Qui sait d’ailleurs si lord Palmerston n’a point emporté dans la tombe le vieil entêtement de la politique anglaise pour « le maintien de l’intégrité de l’empire ottoman, » comme il disait en un langage aujourd’hui suranné, et que le narquois ministre anglais n’hésitait pas à justifier en soutenant que la Turquie était à notre époque le pays qui avait fait les progrès réels les plus rapides ?

Bien que les affaires de l’Espagne n’affectent plus la politique générale de l’Europe, nous ne pouvons assister avec indifférence aux mesures violentes prises, il y a quinze jours, par le ministère Narvaez. Si ces mesures se présentaient comme un incident insolite et exceptionnel dans l’histoire contemporaine de l’Espagne, on ne pourrait se dispenser de les juger avec sévérité. Il y a quelque chose de tristement sauvage dans ces enlèvemens, ces expulsions, ces déportations lointaines de personnages revêtus hier encore du mandat de la représentation publique, et dont plusieurs méritaient l’estime générale ; mais en vérité tout le monde en Espagne a commis de si grandes fautes depuis bien des années, tant d’assauts victorieux ont été donnés au pouvoir par les pires insurrections, les insurrections militaires, les mesures d’exception ont été si souvent appliquées par les vainqueurs aux vaincus, les constitutions ont été à tant de reprises violées, suspendues ou refaites, qu’il est devenu impossible de démêler dans cette confusion d’événemens et d’hommes ceux qu’il faut condamner et ceux qu’il faut absoudre. Le plus sûr parti pour les témoins étrangers est de s’avouer incom-