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européenne. Est-ce le cas aujourd’hui ? Y a-t-il en ce moment une cour d’Europe décidée à frapper un grand coup en Turquie ? Quoique nous vivions dans l’époque des surprises, nous nous permettons d’en douter. On met toujours, il est vrai, la Russie en avant, et, dès que les choses s’ébranlent en Turquie, on ne manque pas de voir la politique russe se donner de grands mouvemens et élever la voix dans les entretiens de la diplomatie. On dit qu’à propos des affaires du Levant il y a deux partis en Russie : il y a d’abord le parti de la tradition héroïque de Pierre le Grand et de Catherine, celui qui rêve de replanter la croix à Sainte-Sophie et d’y établir la grande suprématie spirituelle et temporelle du principe moscovite ; il y a ensuite le parti terre à terre et pratique qui poursuit, comme profit des troubles de la Turquie, l’abolition du traité de 1856. Nous supposons que le prince Gortchakof n’est point un adepte de la secte fanatique et chimérique ; mais nous sommes certains que personne en Russie n’est plus dévoué que lui à la pensée de secouer le poids du traité de 1856, désagréable monument de la défaite de la Russie à Sébastopol. La haine des traités ayant été fort gratuitement mise à la mode par la France, qui n’avait plus à en souffrir, on n’en peut faire un reproche contre le prince Gortchakof. À la façon dont la cour de Pétersbourg vient d’abolir, pour ce qui la concerne, les traités de Vienne, on peut juger qu’elle n’aura aucun scrupule à s’émanciper de celui de Paris quand elle le croira opportun, et l’on doit convenir que l’état de l’Europe lui rend la tâche facile. Pour arriver à cette fin, le prince Gortchakof a-t-il besoin de risquer une grande perturbation en Turquie ? Nous ne le pensons point. Au fond, sauf les intérêts de l’humanité que les puissances européennes peuvent faire prévaloir à Constantinople aussi bien par des conseils séparés que par une action concertée, il n’y a rien dans la phase actuelle de la question d’Orient qui appelle un effort grave de la France. Adresser des représentations à la Porte en faveur des populations chrétiennes, obtenir de bonnes promesses et quelques actes immédiats d’indulgence ou de réparation, c’est à quoi semble devoir se borner le rôle de la France, qui ne peut guère avoir en Orient qu’une politique temporisatrice. On annonce pour le printemps prochain de grands soulèvemens des populations chrétiennes dans les provinces de la Turquie d’Europe. On évoque aussi, comme cela se voit toujours quand l’Orient s’agite, de mystérieuses combinaisons d’alliance entre les grandes puissances. Il y a bien des exagérations dans ces prophéties. C’est surtout le manège des alliances qui nous effarouche dans les complications orientales. Comment se classeraient les intérêts et se lieraient les desseins dans une crise actuelle ? Il est des gens qui croient que l’on pourrait trouver là une base de coopération avec la Prusse ; ceux qui caressent une pareille idée auraient raison, si dans un plan d’équilibre oriental la France pouvait trouver des élémens d’entente avec la Russie ; ils sont dupes d’une illusion grossière, s’il y a en Orient des motifs d’antagonisme entre les Russes et nous. L’alliance