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missionnaires qui la dirigent n’ont eu qu’à se louer des bons procédés de l’autorité britannique. Petrus Ky, l’un des meilleurs élèves de Pinang, devenu depuis l’un de nos meilleurs interprètes en Cochinchine, aimait à rappeler que pendant son séjour au séminaire il avait reçu du gouverneur anglais un prix de 200 piastres, offert par lui à l’auteur de la meilleure thèse sur la divinité de Jésus-Christ. Bien que la thèse de Petrus fût en latin et qu’elle eût soixante-dix pages bien comptées, le gouverneur voulut la lire et l’annoter lui-même.

La ville est petite et charmante. Une voie principale, perpendiculaire aux quais, coupe quelques rues transversales qui se perdent dans les champs ; le tout couvre au plus un mille carré. On dirait d’une contraction de Singapore ; ce sont les mêmes maisons blanches à portiques, entourées de jardins, la même campagne semée de villas, les mêmes plantations de muscade et de girofle ; mais ces villas sont presque aux portes de la ville, et l’ensemble du tableau est aisément embrassé d’un regard par le promeneur, de la route qui monte à Government-Hill. De là on voit aussi la province Wellesley sur la côte opposée, avec ses vastes champs de cannes et les quatre rivières qui lui donnent une si remarquable fertilité, Muda, Prye, Junjong et Krean. Ce que l’on ne voit pas, c’est l’antique Malacca, située à quelques lieues plus bas, aujourd’hui anglaise comme Singapore et comme Pinang, mais oubliée et bien déchue de la splendeur traditionnelle qui fit d’elle jadis la reine de ces mers. Les Portugais et les Hollandais y ont pourtant laissé de nobles traces. Des premiers, c’est une fière cathédrale encore imposante sous ses ruines, où s’est fait entendre la voix de saint François-Xavier, où s’agenouilla sans doute le grand Albuquerque. Des seconds, c’est le palais des gouverneurs, Stadt-House, vaste et massive construction aux pignons sans nombre, marquée de l’irrécusable empreinte qui caractérise l’architecture hollandaise du XVIIe et du XVIIIe siècle. Le plus curieux de ces débris d’un autre âge est un noyau de familles portugaises qui, à travers maints croisemens malais, a réussi à conserver le souvenir de sa nationalité, ainsi que le langage et presque jusqu’au costume de ses pères. Le sort a peu souri à ces fils des conquérans. Les plus aventureux vont tenter la fortune à Pinang, à Singapore, où on les retrouve employés dans les hôtels, dans les maisons de commerce, dans les imprimeries surtout ; mais le plus grand nombre reste fidèle à Malacca, où ils vivent de peu sans grand travail. On les voit souvent le soir, devant leur porte, tirant de quelque violon hors d’âge un chant plaintif que ne se lassent pas d’écouter la femme et les enfans.