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concessions religieuses sur les points qui lui tenaient particulièrement à cœur; mais cela même, pensait-il, ne suffirait pas. Pour agir efficacement sur le pape, il lui semblait bon de l’émouvoir par la crainte encore plus que par l’espérance. Quand on était à la veille de réclamer de lui un si grand service, quand on ne se proposait rien moins que de faire, à prochaine échéance, du chef auguste de la catholicité l’instrument de la plus prodigieuse des élévations, il était prudent de ne pas lui donner à penser qu’il fût si nécessaire. Il était opportun qu’il se sentît au contraire compromis et menacé. C’était de bon jeu, suivant les calculs du premier consul, de le tenir en inquiétude sur sa propre existence, afin de l’avoir pour ainsi dire à sa merci, et que, placé dans la difficile alternative de concéder une immense faveur ou d’infliger une mortelle injure. Pie VII fût poussé par la force des choses à se jeter tout entier dans les bras de Napoléon comme dans son seul refuge. Les récriminations violentes du cardinal Fesch n’avaient pas d’autre but, lorsqu’il se plaignait amèrement de la protection dont le gouvernement pontifical couvrait, disait-il, les intrigues d’un ancien émigré, le comte de Vernègues, devenu sujet russe, et que l’ambassade française voulait à toute force soustraire à la protection du tsar afin de le faire déporter et juger en France. Pour la rendre plus grave. Napoléon n’avait pas hésité à s’occuper lui-même de cette affaire. Il avait ordonné à M. de Talleyrand de passer une note menaçante qui devait être transmise au pape par le cardinal Fesch. « Cette note dira, écrivait-il à son ministre des relations extérieures, que les émigrés sont des hommes condamnés à la mort par les lois et considérés dans tous les pays comme individus morts civilement... Faites une lettre au cardinal Caprara. Expédiez un courrier extraordinaire au cardinal Fesch, pour lui faire connaître qu’il doit absolument exiger qu’on lui livre M. de Vernègues. Ajoutez que les principes de la cour de Russie sont subversifs de nos droits et de notre indépendance, et que nous ne souffrirons jamais d’aucune puissance qu’on se mêle de discuter nos droits intérieurs. » Cette lettre, en date du 10 germinal an XII (3 mars 1804), et qui n’est point, nous ne savons pour quelle raison, reproduite dans la correspondance de Napoléon Ier, ’, arrivait à Rome peu de jours après la nouvelle de l’exécution du duc d’Enghien. Si elle avait eu pour but principal d’effrayer le saint-siège, cet effet fut complètement atteint. Le cardinal Consalvi, qui avait résisté aussi longtemps qu’il avait pu par tous les moyens que la diplomatie mettait à sa disposition, consentit tout à coup à l’extradition de M. de Vernègues, sans se douter de quelle prochaine exigence, autrement grave et autrement embarrassante pour le saint-siège, cette impérieuse sommation de Napoléon n’était après tout que l’orageux prélude.