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glace et descend vers la plaine en vertu de la progression du glacier : arrivée dans des régions plus chaudes, la glace fond et la pierre apparaît. Si la fusion continue et que la pierre soit volumineuse, elle protège la glace qu’elle recouvre contre l’action du soleil, et tandis que la glace découverte fond rapidement tout autour, celle qui est cachée sous le bloc fond beaucoup moins, et bientôt celui-ci se trouve élevé au sommet d’un piédestal de glace. Ces blocs perchés sont connus des voyageurs sous le nom de tables de glaciers.

Désireux de savoir quelle était l’ablation qui correspondait au retrait du glacier des Bois dont j’ai parlé, je me rendis au Montanvert le 4 septembre 1865, et je constatai que le glacier avait baissé de 20 à 25 mètres environ : continuant ma route sur la mer de glace, j’arrivai au point où le glacier du Talèfre se jette dans la mer de glace, dont il est le plus puissant affluent; là j’eus une preuve encore plus convaincante de cette diminution d’épaisseur. Les touristes qui se rendent au Jardin, îlot riche en plantes alpines situé au milieu de ce glacier, quittaient jadis à cet endroit la mer de glace pour monter sur le rocher du Couvercle, base de l’Aiguille-du-Moine, et contourner ainsi la cascade du glacier de Talèfre. Maintenant ce trajet est impossible, il faudrait une échelle de 25 mètres de haut pour s’élever du glacier sur le Couvercle, parce que le phénomène de l’ablation a peu à peu abaissé le niveau du glacier de 25 mètres au-dessous du rocher en question. Après avoir passé la nuit sous un bloc appelé Pierre-du-Tacul, je montai par le glacier du Géant sur le col du même nom, situé à 3,362 mètres au-dessus de la mer et illustré par le séjour que de Saussure y fit en 1788 pour étudier les phénomènes météorologiques des hautes régions. De cet observatoire élevé, je voyais à mes pieds le glacier de la Brenva, un des plus considérables du revers méridional du Mont-Blanc. Il avait reculé comme les glaciers de l’autre versant, laissant à découvert une grande surface caillouteuse d’une longueur de 300 mètres environ.

En 1767, quand de Saussure vit pour la première fois le glacier de la Brenva, il avait à peu près les dimensions actuelles; la Doire coulait loin de son extrémité. Il n’en était pas de même en 1818 : le glacier avait traversé la rivière et s’était élevé sur la montagne située de l’autre côté de la vallée; là se trouvait une chapelle miraculeuse, appelée Notre-Dame-de-Guérison, élevée de 100 mètres environ au-dessus de la Doire : le glacier ne la respecta pas, et la détruisit de fond en comble. En 1842, M. Forbes[1] constata que le

  1. Travels through the Alps of Savoy, p. 204.