Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 67.djvu/425

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

même, de façon que la portion riveraine reste en arrière tandis que celle du milieu continue d’avancer.

Ce mode de progression nous explique la formation des crevasses qu’on observe toujours au pied des promontoires. En effet, considérons deux points du glacier, l’un situé près du rocher encaissant et un autre vers le milieu : ces deux points sont unis entre eux par une bande de glace continue; mais, le second point marchant plus vite que le premier, il en résulte une tension, et quand cette tension dépasse le degré d’élasticité de la glace, il y a rupture. C’est une crevasse qui se forme, et elle est, comme l’indiquent les lois de la mécanique, perpendiculaire à la ligne qui joint les deux points que nous avons considérés. Cette formation des crevasses est encore en opposition formelle avec la théorie de M. Forbes, qui assimile un glacier à un corps visqueux ; un tel corps en contournant un promontoire ralentit sa marche, mais il ne se forme pas de solution de continuité dans sa masse, qui ne se crevasse ni ne se déchire.

Le phénomène du regel nous rend compte d’un autre fait matériel dont personne ne s’était avisé de chercher l’explication, et qui pourtant aurait dû exciter la surprise et provoquer les investigations des esprits réfléchis. Quand un glacier arrive à un point de la vallée où la pente devient subitement plus forte qu’elle ne l’était auparavant, alors il se précipite sur cette pente, se divise en prismes, en lames, en aiguilles, en cubes séparés par de profondes crevasses. Ce sont ces cascades de glace qui font l’admiration des touristes au glacier des Bois au-dessous du Montanvert, au glacier de Talèfre avant sa jonction avec la mer de glace, sur le glacier du Géant, entre l’Aiguille-Noire et celle de Blaitière, sur celui de Grindelwald inférieur, au-dessous de la Stieregg. Mais du moment que le glacier a franchi cette dénivellation, du moment que la pente est moins forte, la surface redevient unie, les crevasses moins nombreuses, et le glacier, infranchissable pour le voyageur dans les points où il forme cascade, est abordé sans crainte par les plus timides. La surface presque unie que les touristes traversent en allant du Montanvert au Chapeau est la même qui était décomposée en aiguilles sur les glaciers du Géant et de Talèfre, et cette même glace se déchirera, se divisera, se crevassera de nouveau sur le rocher fortement incliné du glacier des Bois, au pied duquel jaillit la source de l’Arveiron. Sur une pente faible, la pression des parties supérieures ressoude et recolle les parties qui s’étaient divisées et séparées sur une pente plus rapide.

Mais comment s’opère ce recollement de la glace divisée en petits fragmens dans l’expérience de Tyndall, ou séparée en énormes cubes, en aiguilles, en prismes, en pyramides de plusieurs mètres