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la Suisse et de la Savoie, ils avaient à peine fixé l’attention des géologues et des physiciens. L’historien des Alpes, de Saussure, ne les avait pas étudiés spécialement, et s’était borné à l’observation sans recourir à l’expérience. Venetz et Charpentier, après avoir reconnu qu’ils étaient jadis descendus dans les vallées habitées de la Suisse, les observèrent avec plus de soin ; mais l’étude expérimentale des glaciers date des mémorables séjours de MM. Agassiz, Desor et Vogt sur le glacier de l’Aar, de 1840 à 1845, de ceux de M. James Forbes sur la mer de glace de Chamonix et des travaux de leurs continuateurs, MM. Dollfus-Ausset, Hopkins, Tyndall, Ed. Collomb, John Ball, etc. Ce sont les résultats de ces recherches que je vais essayer d’exposer dans la première partie de cette étude ; la seconde sera consacrée à l’ancienne extension des glaciers. Ces recherches s’enchaînent étroitement entre elles, car c’est la connaissance des glaciers alpins et de l’action qu’ils exercent sur les vallées dans lesquelles ils se meuvent qui nous permettra de retrouver leurs traces loin des montagnes où ils sont confinés maintenant. Appliquant à cette étude le principe fécond des causes actuelles, inauguré par Constant Prévost et si heureusement développé par sir Charles Lyell, nous constaterons que les glaciers gigantesques de la période de froid étaient identiques dans leurs phénomènes et dans leurs effets aux glaciers actuels. Sauf les dimensions, rien n’a changé. Le concours de toutes les sciences physiques et naturelles est nécessaire à l’intelligence de ces phénomènes. Je ferai tous mes efforts pour être compris du lecteur qui aborde ce sujet pour la première fois ; mais j’ose engager les personnes qu’il intéresse plus spécialement à relire l’article du 1er mars 1847, car je ne saurais le reproduire en entier, et je dois me borner à choisir les faits les plus importans et à rappeler les définitions les plus essentielles à l’intelligence du sujet.


I. — DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE DES GLACIERS.

Les glaciers sont des fleuves de glace, émissaires des champs de neiges éternelles qui couronnent les hautes montagnes ou assiègent les pôles ; ils sont semblables à deux des plus grands fleuves du monde, le Nil et le Saint-Laurent, qui prennent leur source dans de vastes lacs intérieurs dont ils versent les eaux dans la mer. La longueur et l’extension des glaciers varient suivant la latitude. Dans les zones chaudes ou tempérées du globe, ils n’existent que dans les grandes chaînes des montagnes, et sont relégués dans les hautes vallées qui aboutissent aux cirques et aux cols voisins des sommets les plus élevés. Tels sont les glaciers des Alpes, des Pyrénées, du