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vers l’Angleterre au début de cette guerre; la paix de 1763 le poussa vers la Russie à travers la Pologne, et le comte de Broglie résume cette situation en disant : « Concluons que la position du roi de Prusse à l’égard de la France est celle d’un prince autrefois allié qu’on a traité comme ennemi, qu’on a voulu anéantir, et qui n’existe que par des prodiges, — que, sorti de cette crise, il n’a peut-être pas dû nous aimer beaucoup; mais il n’en aurait pas été moins disposé à se lier encore avec nous dès qu’il y aurait pu trouver son avantage, que notre alliance exclusive avec la cour de Vienne lui en a ôté l’espoir... »

C’était en effet la clé de tout. Je ne rappellerai pas comment s’était formée cette alliance autrichienne scellée définitivement par le traité de 1756, maintenue et confirmée par la paix cruelle de 1763. Les mordantes boutades de Frédéric sur Mme de Pompadour et sur Louis XV y avaient aidé; les avances faites par la fière Marie-Thérèse à la favorite de Versailles avaient achevé cette singulière révolution diplomatique. Tout le monde s’y était mis, c’était la mode du temps; mais ce qu’on savait moins, c’est que Louis XV lui-même, au risque de brouiller les intérêts qu’il se flattait de concilier, sans se douter qu’il ne faisait que subir de frivoles influences, se piquait d’un amour particulier pour cette alliance, qu’il considérait comme son ouvrage, et sur ce point il rencontrait la vive et libre opposition du comte de Broglie, qui sentait tous les dangers de la politique nouvelle. « J’ai très bien vu dans toutes vos lettres, écrivait le roi, que vous aviez de la peine à adopter le système nouveau que j’ai pris : vous n’étiez pas le seul; mais telle est ma volonté, il faut que vous y concouriez... « Le roi y revient dans une autre lettre. « Je trouve très bon, comte de Broglie, que vous me fassiez toutes les représentations que vous croirez devoir me faire et à mes ministres; mais ayez toujours en vue l’union intime avec Vienne : c’est mon ouvrage, je le crois bon et je le veux soutenir...» Et à Tercier : « En conservant notre parti en Pologne, mettez-leur bien dans la tête (aux Polonais) que jusqu’à ma mort je ne me séparerai point de l’impératrice-reine, et que mon fils est dans ces mêmes sentimens. »

Cette alliance autrichienne, dont Louis XV se vantait avec un naïf orgueil et à laquelle il s’attachait avec l’opiniâtreté d’un esprit faible, cette alliance eut cependant une série de conséquences désastreuses que le comte de Broglie ne manquait pas de signaler. Elle fit d’une guerre maritime principalement dirigée contre l’Angleterre une guerre continentale où la France eut la Prusse pour ennemie, ce qui était tout à la fois diviser nos forces et travailler à la destruction d’un allié qu’on était intéressé à se ménager: les