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été réalisé, eût modifié singulièrement sans doute la marche de la politique européenne. « On ne peut disconvenir, dit-il, que ce système n’eût été fait conformément aux véritables principes et selon les intérêts de la France. Il consistait à garder en Europe l’équilibre établi par les traités de Westphalie, à protéger les libertés du corps germanique dont la France était garante, à lier par un autre traité perpétuel la Turquie, la Pologne, la Suède et la Prusse sous la médiation et ensuite avec l’accession de la France, et enfin à séparer par ce moyen la maison d’Autriche d’avec la Russie en rejetant cette dernière dans ses vastes déserts et la reléguant pour les affaires hors des limites de l’Europe. »

C’est là ce qui s’agitait dans les conseils secrets de Louis XV, lorsqu’il était temps encore, lorsque rien n’était sérieusement compromis. Si ce programme eût été suivi avec une tranquille et patiente fermeté, bien des crises qui ont là leur origine première eussent été écartées peut-être, bien des choses eussent été changées visiblement ou auraient été retardées. La Prusse eût toujours grandi, comme elle ne pouvait manquer de le faire avec un chef dont le premier coup était l’invasion et la conquête de la Silésie; mais elle eût grandi d’accord avec-la France, et ses agrandissemens auraient pu se combiner avec nos intérêts, sans devenir un amoindrissement pour nous. Elle n’aurait point été rejetée vers l’Angleterre au début de la guerre de sept ans, vers la Russie après la paix de 1763. La Pologne aurait pu être sauvée, et le partage de 1772 ne serait point devenu le point de jonction, le ciment en quelque sorte de cette triple alliance du nord, formée sous nos yeux, sous la protection de notre imprévoyance, dix fois relâchée ou brisée en apparence depuis lors, dix fois recomposée contre nous, de cette alliance dont la rupture, si tant est qu’elle soit définitive aujourd’hui, n’est même plus une garantie, parce qu’elle n’est qu’un signe nouveau de la situation violente où les ambitions déchaînées laissent l’Europe.

En réalité, c’est en Pologne qu’était en ce moment le levier de notre action; c’est pour l’indépendance ou, comme on disait alors, pour la liberté de la Pologne que se formait la politique secrète, et il est certainement curieux de voir un roi comme Louis XV, dont la nature était si lente à s’animer, porter dans ces affaires une apparence de suite, un intérêt qui faisaient l’illusion de ceux qu’il associait à ses desseins. Que cette question de Pologne n’apparût d’abord à Louis XV que sous la figure d’une couronne pour le prince de Conti, qu’il ne se rendît pas compte des engagemens qu’il prenait avec lui-même, des obligations qu’il créait à la France, des conséquences logiques, inévitables, de cette adoption de la cause polonaise, c’est assez clair. Il n’est pas moins vrai que pendant quinze