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cratie, et comme ni les uns ni les autres n’ont à craindre le contrôle et la lumière, ils finissent tous par former entre le prince et le pays une masse impénétrable à travers laquelle le pouvoir, si absolu qu’il soit, ne voit rien. Les moyens mêmes qu’il emploie, les expédiens les plus subtils tournent contre lui. Tout le monde connaît la merveilleuse invention du cabinet noir, de cette mystérieuse et répugnante inquisition organisée pour surprendre le secret des correspondances. Le procédé semble aussi efficace qu’il est cynique ; pas du tout, il n’est point efficace, et c’est le comte de Broglie qui écrit : « Les ministres ont regardé comme une chose essentielle de mettre dans cette place quelqu’un qui leur fût affidé, afin de pouvoir mettre des copies ou des extraits de lettres sous les yeux du roi, pour servir leurs passions, leur haine ou leur amitié. Il n’est même pas sans exemple, dit-on, que cela ait donné lieu à supposer des lettres entières ou à en faire des extraits pour faire des crimes à des gens qui étaient innocens. » En d’autres termes, ce n’était qu’un moyen de plus de tromper le roi. On n’est pas mieux battu avec ses propres armes.

Ceux qui ne voient dans la liberté, dans les contrôles populaires, dans les luttes au grand jour, qu’une diminution de la force et du prestige de la souveraineté, ces séides peu naïfs de l’autocratie sont risibles. Ils oublient cet autre genre d’humiliation et d’impuissance de la royauté asservie, compromise, bernée ou annulée par les ambitions et les factions de cour. Sous ce régime, il est vrai, il ne s’agit plus de livrer le pouvoir aux chances d’un vote parlementaire, de savoir qui l’emportera de Pitt ou de Grenville. Il s’agit de bien autre chose ! Combien de temps le cardinal de Fleury va-t-il vivre encore et rester un maire du palais en robe rouge ? M. de Chauvelin va-t-il être rappelé de son exil de Bourges ? Quelle est la maîtresse qui règne, et comment arriver à régner par elle ? Quel moyen employer pour cacher au roi ce qu’il ne doit pas savoir, pour l’entraîner dans une alliance, pour faire la fortune ou la disgrâce d’un ministre ? Je ne sais si rien est à la fois plus triste et plus comique que la situation de ce roi accablé de son omnipotence, qui se débat dans son faste indolent au milieu d’un entourage plus puissant que lui, et qui dit avec une piteuse mélancolie : « Ils ont tant fait qu’ils m’ont forcé à renvoyer Machault, l’homme selon mon cœur ; je ne m’en consolerai de ma vie ; » puis un autre jour au sujet du ministre de la guerre, M. de Monteynard : « Il faudra bien qu’il tombe, car il n’y a que moi qui le soutienne. » Un contemporain qui avait été l’agent de Louis XV écrit : « Le roi au milieu de sa propre cour avait moins de pouvoir qu’un avocat du Châtelet. » Survient le marquis d’Argenson qui complète le portrait par un dé-