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Pour donner une mesure exacte de la valeur particulière de ce travail comme de sa nouveauté relative, il faudrait pouvoir en citer quelques fragmens; mais nous avons bientôt reconnu qu’on ne saurait en rien détacher. Point de morceaux, point de pages à extraire : tout se tient. C’est un seul bloc coulé d’un seul jet. Considérons du moins dans ce volume, qui n’a qu’un chapitre et qu’un sommaire, une théorie remarquable à laquelle les préoccupations de l’heure actuelle donnent un singulier intérêt d’à-propos : nous voulons dire la théorie de la matière dans son rapport avec les idées de force et d’étendue.

Il n’est pas un philosophe à l’esprit un peu large et un peu élevé qui n’ait vivement souffert, au moins quelquefois, du triste antagonisme que créent entre les penseurs les vues exclusives du matérialisme et du spiritualisme. Cette lutte sera-t-elle éternelle? Qui le sait? Mais qui niera qu’elle ne soit pénible, douloureuse et même, à certains momens, décourageante? Un historien illustre a écrit quelque part à propos des discordes sanglantes qu’excitent les passions politiques : « L’un crie : vive la monarchie! l’autre crie : vive la république! et Là-dessus, ils s’entre-tuent. Ils s’embrasseraient, s’ils pouvaient s’entendre. » Les matérialistes et les spiritualistes ne s’entr’égorgent pas, Dieu merci; mais ils perdent à se réfuter mutuellement un temps énorme. Sans aller jusqu’à s’embrasser, ne pourrait-on quelque jour réussir à s’entendre? Les spiritualistes ne demandent pas mieux, et après tout ils sont plus concilians que leurs adversaires, puisqu’ils admettent fort bien l’existence de quelque chose qui se nomme matière, tandis que de l’autre côté on ne veut entendre parler ni d’âme ni de principe spirituel, quel qu’il soit. Si jamais la paix est signée, au moins pour un temps, ce sera sans doute sur le terrain leibnizien, où se sont récemment placés MM. Magy et Janet, et où nous-même nous oserons appeler des contradicteurs que nous aimerions à convaincre.

Ce qui nourrit et éternise l’antagonisme qui existe entre les spiritualistes et les matérialistes, c’est que ces derniers se persuadent qu’ils connaissent à fond la matière, ou du moins qu’ils savent des choses claires et certaines sur l’existence des corps, par exemple celle-ci : que la substance de la matière est en tous points le contraire de la substance de l’esprit. La matière, disent-ils, est pesante, résistante, tangible, étendue, divisible : les sens, organes positifs de la connaissance, constatent que la matière a toutes ces propriétés, tandis que l’esprit, l’âme, n’a aucune de ces qualités: elle n’est ni pesante, ni résistante, ni tangible, ni divisible : l’âme est donc le contraire du corps. Elle n’a aucune propriété réelle et