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teux), qu’on nous la montre : elle n’aura pas d’adversaire plus détermine que nous; mais qu’elle existe ou non, qu’elle soit vivante ou morte, des aberrations de cette science égarée et absurde on ne saurait conclure que Socrate s’est trompé, et que plus l’expérimentateur « sort de lui-même, mieux il se connaît lui-même; » on n’en peut pas tirer cette conséquence fort inattendue, que le Γνῶθι σεαυτόν (Gnôthi seauton) de l’antiquité s’est changé pour la science moderne en : « connais la nature, et tu te connaîtras toi-même. » S’il se persuade que ce changement de point de vue soit désormais un fait accompli, l’auteur des Problèmes se trompe. Son erreur est d’autant plus grave qu’il s’est comme chargé d’en fournir lui-même la preuve, et que la marche philosophique qu’il condamne, il a été forcé de la suivre à son insu. Malgré cette déclaration catégorique qu’il va non point de l’homme au monde inorganique, mais du monde inorganique à l’homme, c’est l’homme, bien plus c’est l’homme invisible qui est le centre où il se place pour rayonner sur l’univers visible. C’est là qu’il trouve la lumière qu’il répand sur les obscurités de la nature. Métaphysicien et idéaliste, ennemi des matérialistes, qu’il nomme les saint Thomas de la science, incapables de croire à autre chose qu’à ce que leurs mains ont touché, il doit le meilleur et le plus pur de ses livres à la méthode qu’il affecte de couvrir de son dédain. Je le démontrerai en examinant ses vues sur la substance, sur la force et sur la forme.

Et d’abord, à l’égard de cette chose mystérieuse qui se nomme tantôt la matière, tantôt la substance des êtres corporels, il ne partage pas les grossières illusions d’une ignorance présomptueuse. Vous trouverez aujourd’hui à chaque pas des esprits dont rien n’égale l’assurance, si ce n’est leur manque de savoir, et qui, à toutes les questions ardues que posent en tremblant les physiciens, les chimistes, les physiologistes et les philosophes, répondent invariablement : u C’est un effet de la matière, une propriété de la matière, un changement de la matière. » Et cette matière avec laquelle ils expliquent tout, quand on les presse de la définir, de la caractériser, d’en dire le moindre mot qui ait un peu de sens, ils divaguent ou se taisent. Plus tard, lorsqu’ils auront vieilli ou réfléchi, ils s’étonneront d’avoir tenu pour évidentes les propositions les plus obscures qu’une bouche humaine puisse prononcer. En attendant, nous leur soumettons l’aveu suivant d’un chercheur auquel de longues méditations ont appris à n’être dupe ni de la sonorité des phrases, ni de l’apparente et trompeuse clarté des notions mal définies : « Loin de moi la pensée de vouloir jeter le moindre discrédit sur les sciences ! Mais il ne sert de rien de cacher que l’immense édifice de la science moderne repose sur une simple hypo-