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sentons aussi calme à son égard qu’à l’égard de Plotin et de Proclus, ses véritables maîtres; mais nous regrettons qu’à l’exemple de ces deux grands néoplatoniciens Hegel ait adopté un principe d’où rien ne pouvait sortir, et une méthode qui, réduite à elle-même et privée du continuel concours de l’expérience, n’aurait rien tiré de ce principe. Quoique ces deux points aient été déjà démontrés par les cri- tiques qui se sont occupés de la Logique, et par d’autres encore, il importe d’y revenir, au moins en quelques mots. En effet, le double défaut qu’on vient de signaler ne se retrouve dans la Philosophie de la Nature que parce que cette partie du système est la conséquence et le prolongement de la Logique. Dans celle-ci, tout est encore plus simple, plus facile à comprendre et à discuter.

Le trait essentiel et caractéristique de la doctrine hégélienne, c’est qu’elle donne une pure abstraction pour point de départ au mouvement de la pensée et au mouvement de l’être. Or l’on se souvient que, d’après Hegel, ces deux mouvemens ne sont qu’un seul et même mouvement, car la pensée est, dit-il, identique à son objet. Ainsi l’ordre tout entier de nos pensées et l’ordre tout entier des êtres du monde sortiront également d’une abstraction. — Mais qu’est-ce qu’une abstraction? Il n’est pas nécessaire d’être un grand métaphysicien pour le comprendre. Par exemple, me voici auprès de mon feu : je puis dire de mon feu qu’il est ; je puis le dire aussi du fauteuil sur lequel je suis assis; je puis le dire de mon corps assis sur mon fauteuil. Tous ces objets, d’ailleurs fort différens, ont cela de commun qu’ils sont. Par conséquent leur commun caractère, c’est d’être. Si je pense à ce caractère, j’ai l’idée de l’être. Et en y réfléchissant je m’aperçois que cette idée de l’être convient à toutes les choses de l’univers, puisque de toutes il est permis d’affirmer qu’elles sont. Eh bien! quand je songe à l’idée de l’être sans l’appliquer à aucun objet en particulier et que je la retiens ainsi isolée en présence de mon esprit, cette idée, séparée de tout objet particulier, se nomme une abstraction; mais de l’être conçu de cette façon, de l’être qui n’est plus ni mon feu, ni mon fauteuil, ni ma personne, ni quoi que ce soit au monde, qu’est-ce que je suis en droit d’affirmer? Une seule et unique chose, c’est qu’il est. Au-delà, je n’ai plus rien à dire, rien à déduire. Lorsque j’ai dit de l’être abstrait qu’il est, je n’ai plus qu’à me taire, et si par hasard toute la science humaine est contenue dans cette idée de l’être en général, aussitôt que j’ai prononcé ces deux mots : l’être est, la science est achevée. Hâtons-nous d’ajouter qu’une telle science serait manifestement nulle et vide, car un être dont on ne peut affirmer que l’existence pure et nue est un pur rien, et la science de cet être serait la science de ce qui égale le rien.